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Tourisme et environnement

De l’observation de la nature à l’attrait touristique

La grotte d’Osselle située à une vingtaine de kilomètres de Besançon est l’une des plus anciennes cavités touristiques européennes.

Elle est visitée régulièrement depuis le XVIe siècle. Mais, pendant longtemps, il fallait se traîner sur le ventre pour y accéder. Afin de remédier à cette difficulté, les deux intendants, Beaumont et Lacoré, qui se succèdent à la tête de la province de Franche-Comté, entreprennent des travaux pour agrandir l’entrée et certains passages à partir de 1752.

L’année suivante, l’académie de Besançon demande à ses membres un aphorisme en latin. C’est celui proposé par l’abbé de Villefrancon qui est retenu et gravé en lettres d’or sur une plaque de marbre noire dans le vestibule de la grotte : « La nature s’est plu à creuser, Jean-Louis de Beaumont, intendant a rendu service aux amateurs de la nature en l’ouvrant sous le règne de Louis XV, 1750 ».

Dans les années 1780, Née et Lallemand livrent les premières estampes de la grotte.

Les travaux réalisés conjugués à ces initiatives contribuent à populariser le lieu.

Durant les dernières années du XVIIIe siècle, les visiteurs venus de toute la France et de l’étranger affluent et la grotte d’Osselle devient un passage prisé des circuits touristiques en plein essor. L’attractivité pour ce lieu ne se dément pas. 

Dans le second XIXe siècle, Ulysse Robert membre de l’académie de Besançon, ressuscitée après la Révolution française, écrit dans Mémoire concernant la Franche-Comté en son estat ancien : « L’une des raretés les plus admirées de la Franche Comté, c’est la grotte d’Auxelles à deux lieues de Besançon ver le midy et à une lieue au nord de Quingey. (…) On y admire à la faveur des flambeaux un grand nombre de colonnes formées par les eaux qui se sont écoulées de ces voutes naturelles et qui se sont pétrifiées petit à petit, mais avec tant d’art que l’architecture la plus délicate n’a rien qui aproche de ces beautés avanturières. »

panneau Osselle trésor géologique, visible de l'autoroute

Aujourd’hui encore la grotte est un site touristique prisé,
annoncé depuis l’autoroute A36.

Image

Le succès initial de la grotte se situe à l’articulation de deux dynamiques.

La première est celle de l’essor des sciences naturelles au XVIIIe siècle. La Nature qui n’est plus simplement une œuvre divine à contempler devient un objet de connaissance. Les entreprises de classification, en botanique en zoologie ou en minéralogie, qui visent à « amener le langage au plus près du regard et les choses regardées au plus près des mots », comme l’écrit Michel Foucault (Les Mots et les choses), se fondent sur la description et la comparaison. Elles posent un regard minutieux sur « le spectacle de la nature ». Savoir observer devient une compétence revendiquée. Les savants voyagent, explorent, vont de découvertes en découvertes. Puis ils partagent le fruit de leurs observations dans des sociétés savantes et des cabinets de curiosité.

La seconde dynamique correspond à l’essor du tourisme (même si ce terme n’apparaîtra qu’au XIXe siècle). Sur le modèle du Grand Tour pratiqué par l’aristocratie anglaise, les élites européennes qui disposent de temps et d’argent, se plaisent à voyager. Le goût des paysages pittoresques et des beautés de la nature, entretenu notamment par le succès des œuvres de Jean-Jacques Rousseau, animent les voyageurs.

Mais l’attrait de la Nature n’est pas exempt de toute ambition de domestication, d’appropriation, voire de pillages des ressources naturelles. Lacoré n’hésita pas à organiser une fête dans la grotte où se pressa la bonne société bisontine. Surtout les pillages se répétèrent. Le bras droit de l’intendant, le subdélégué Faton, fut chargé de récupérer deux colonnes, dont l’une brisée lors de sa sortie, chez le duc de Picquigny, officier féru d’expériences scientifiques.

Le marquis de Toulongeon, membre de l’académie de Besançon, fit sortir des pilastres et des colonnes pour orner une grotte artificielle dans son château d’Antropes. L’intendant Lacoré lui-même tenta de déplacer plusieurs colonnes pour embellir son château.

De tels comportements révèlent toute l’ambivalence des rapports que les hommes et les femmes entretiennent avec l’environnement, entre fascination et prédation.

Deux siècles plus tard, la grotte de Lascaux sera à bien des égards elle aussi victime de son succès. Les problèmes du surtourisme caractérisé par une concentration en un lieu et un temps donné de flux touristiques importants demeure un défi majeur au carrefour des enjeux écologiques, économiques et culturelles.

Pour aller plus loin

Publication :

Christiane Roussel, « La Grotte d’Osselle au XVIIIe siècle » dans Beau Siècle. La vie artistique à Besançon de la conquête à la Révolution, Paris, éditions courtes et longues, p. 363 à 366

Ressource numérique : 

Grégory Besson, « Voyager en Europe au siècle des Lumières », Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe

Podcast : 

Les Lumières et le jeu de la nature et du progrès, Le cours de l'histoire, France Culture, 21 septembre 2021