Education des femmes
ou la voie d'une émancipation ?
En 1777, pour son concours d’éloquence, l’Académie de Besançon s’intéresse à l’éducation des femmes. Ce débat du XVIIIe siècle s’inscrit dans une volonté de favoriser le développement de la raison au sein d’un peuple à éclairer.
Pour cette raison, l’Académie se pose la question suivante : « Comment l’éducation des femmes peut-elle rendre les hommes meilleurs ? ».
Cette interrogation intéresse onze candidats qui déposent leurs argumentations. Finalement, le prix est décerné au comte de Costa, un capitaine de légion des campements du roi de Sardaigne.
Si, pour le lecteur d’aujourd’hui, la question posée incite à promouvoir l’émancipation des femmes par le savoir, les candidats de 1777 ne l’interprètent pas de la même manière.
Bon nombre d’entre eux, comme le célèbre écrivain Bernardin de Saint Pierre, ou même Manon Roland, femme éclairée au parcours exceptionnel, argumentent sur l’utilité d’une éducation des femmes au service de l’épanouissement des hommes.
Les réponses témoignent ainsi de préjugés persistants qui oscillent entre arguments naturalistes et religieux.
De telles réponses révèlent tout l’ambivalence du mouvement des Lumières.
Pour certains, le maintien des femmes, y compris éclairées, au service des hommes ne saurait être remis en cause. D’autres, comme le philosophe Condorcet dans sa Lettre d'un bourgeois de New-Haven à un citoyen de Virginie, estiment que les femmes devraient avoir des droits similaires aux hommes. Son combat en faveur de l’égalité se prolonge durant la Révolution française, comme en témoigne son écrit Sur l’admission des femmes au droit de cité en faveur de l’octroi du droit de vote aux femmes (1790).
Par delà les débats intellectuels, une dynamique majeure caractérise le siècle des Lumières : l’alphabétisation des femmes passe de 14 à 27 %. Cette croissance s’accompagne de l’émergence de figures féminines et scientifiques de premier plan.
La plus emblématique est sans doute Émilie Du Châtelet que l’on ne saurait réduire au rôle de compagne de Voltaire et d’amie de nombreux savants. Elle écrit plusieurs ouvrages comme les Institutions de physique en 1740, une Dissertation sur la nature et la propagation du feu en 1744, un Discours du bonheur en 1749 et traduit en 1749 Principes mathématiques de Newton. Par ses écrits, par ses engagements comme par ses comportements, Émilie Du Châtelet s’engage explicitement en faveur de l’égalité des sexes.
Parmi les candidats du concours de 1777 à Besançon, se distingue une autre figure féminine : Manon Roland, alors âgée de 23 ans, fait partie des trois femmes qui dissertent sur la question. Sa participation témoigne d’une envie de prendre part aux débats intellectuels de l’époque.
Pendant la Révolution, Manon Roland et son mari Jean-Marie Roland s’installent à Paris, permettant à la jeune femme de tenir un salon où se côtoient politiques et intellectuels révolutionnaires. Sa collaboration intellectuelle avec son mari prend une tournure encore plus nettement politique lorsque celui-ci devient ministre de l’Intérieur en 1792. Son rôle de premier plan suscite des suspicions, des moqueries et des condamnations. Suite aux journées de mai et juin 1793 qui provoquent la chute des députés apparentés à la Gironde proches du couple Roland, elle sera incarcérée puis exécutée.
Alper Tufan, Abandoned Classroom with Broken Desks and Peeling Walls, 2024
Les tiraillements du XVIIIe siècle marqué par l’affirmation de revendications égalitaires, l’émergence de figures de premier plan et le maintien de préjugés misogynes, n’est peut-être pas sans similitude avec le temps présent. Aujourd'hui certains peuvent considérer que l’éducation des femmes va de soi, qu’elle n’est plus un problème.
Néanmoins, à l’échelle nationale, la nature de cette éducation continue de susciter les passions comme en témoignent les vifs débats en cours sur l’éducation à la vie affective et sexuelle qui met en jeu la question du consentement.
Au niveau mondial, permettre aux femmes d’accéder à l’éducation reste un défi. En 2013, selon un rapport mondial commandité par l’UNESCO intitulé « L’éducation des filles a un impact énorme sur toute la société », plus de 31 millions de filles en âge de fréquenter l’école ne sont pas scolarisées.
Pour aller plus loin
Publications :
Scarlett Beauvalet et alii, Femmes et République, Paris, La documentation française, 2021
Caroline Fayolle, La femme nouvelle. Genre, éducation, Révolution (1789-1830), Paris, Éditions du CTHS, 2017
Dominique Godineau, Les femmes dans la France moderne, XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, Collection U, 2015
Ressource numérique :
UNESCO, Égalité des genres et éducation
Vidéos :
CGTN (en partenariat avec l’UNESCO), Son éducation, notre avenir, 7 mars 2024
Manon Roland, témoin et actrice de la Révolution
Podcasts :
Ghazal Golshiri, Vaiju Naravane, Afghanistan, Inde : l’éducation des filles à l’épreuve du patriarcat, (épisode 2/4), Education, une lutte sans fin, France-Culture, 25 janvier 2022
Joelle Sicamois, Ndèye Ba, Caroline Delage, L’importance de l’éducation des filles dans le monde !, (épisode 3), Rêves d’enfants au cœur du parrainage, Un Enfant par la main, 26 avril 2022
Djounaidi Assoumani, Clémence Bordet, Séveryne Bozzo Di Borgo, Dorian Collin, Honorine Dubief, Esther Flety, Louise Floriot, Léa Pimienta Bachelard