Retracer l’usage des espaces forestiers : une enquête collective
Ensemble, bénévoles et scientifiques mènent un travail d’inventaire des bornes royales et d’autres vestiges anthropiques dans les Vosges saônoises. Cette enquête archéologique et historique vise à analyser les usages des espaces forestiers sur plus de trois siècles afin de mieux comprendre leurs conséquences sur notre environnement actuel et transmettre cette connaissance au grand public.
Cette action de recherche, « VOSEGO - Bornes royales et héritages culturels et environnementaux dans les forêts des Vosges saônoises », est portée au sein de la MSHE par une équipe hybride alliant des bénévoles de l’association ARESAC (association de recherche et d'étude des sites archéologiques comtois), des chercheurs et chercheuses issu.e.s du monde académique (universitaires ou entrepreneur.e.s) et des partenaires professionnels des domaines forestiers et touristiques. En outre, l’équipe est soutenue par la collectivité territoriale des 1000 Étangs et des entreprises intéressées par les connaissances co-produites.
De la naissance d’une équipe hybride
Le programme VOSEGO a la particularité d’être co-dirigé respectivement par un responsable associatif et un universitaire*. Un tel projet s'est concrétisé à la suite d'une longue coopération fructueuse, démarrée en 2009 dans le cadre de l’action LIEPPEC - Lidar pour l’Etude des Paysages Passés et Contemporains*. Il s’agissait de l’une des premières acquisitions de données Lidar* en France de grande envergure, après celle menée sur le massif forestier de Haye (Lorraine), couvrant l’agglomération bisontine et le sud de l’agglomération de Montbéliard (Mathay-Mandeure). L’analyse des données Lidar s’est d’abord focalisée sur la recherche de vestiges archéologiques sur l’ensemble du territoire, puis plus spécifiquement sur les zones forestières et en particulier le massif de Chailluz*.
- Responsable associatif : Daniel Daval, président de l'ARESAC
Responsable universitaire : François Favory, professeur émérite d’histoire ancienne et d’archéologie rurale, rattaché au laboratoire Chrono-environnement et à la MSHE
- Action LIEPPEC - Lidar pour l’Etude des Paysages Passés et Contemporains : initiée en 2008 par Laure Nuninger et Francois-Pierre Tourneux, grâce à un soutien de la Région Franche-Comté et en partenariat avec K. Ostir et A. Marsetic (ZRC SAZU, Slovénie) dans le cadre du LEA ModeLTER (laboratoire européen de modélisation des paysages et des territoires dans la longue durée)
- Lidar (acronyme de Light Detection and Ranging) est une méthode de télédétection, fondée sur une mesure de distance. Le principe de la technologie est de répéter les mesures de distance à un objet à l’aide d’un télémètre laser dont le faisceau lumineux est balayé à la surface de la terre par un miroir oscillant. Le fait de pouvoir répéter les mesures avec une fréquence très élevée permet ensuite d’obtenir une description précise des objets sous la forme d’un nuage de points renseignés par des coordonnées x, y et z, si on connaît par ailleurs la position exacte de la source émettrice (position du capteur terrestre ou embarqué dans un avion par exemple). Les données Lidar sont donc des données altimétriques qui sont ensuite utilisées pour réaliser des modèles numérique d'élévation, soit des modèles numériques de surface (MNS) représentant la surface terrestre avec les éléments permanents du sol (bâtiments, végétation), soit des modèles numériques de terrain (MNT) représentant le terrain nu (sol) sans ses éléments permanents (bâtiments et la végétation). Pour en savoir plus, se référer aux publications dans « Pour aller plus loin ».
- L'analyse des données Lidar sur l'ensemble de la zone et sur Chailluz : grâce au post-doctorat de Rachel Opitz et aux thèses de Catherine Fruchart (financée par la Ville de Besançon) et de Clément Laplaige (co-financée par Agglomération Montbéliard), notamment dans le cadre d'une opération « Construction Historique des Espaces Forestiers » (sous la responsabilité de L. Nuninger) menée dans le programme UE Feder ODIT - Observatoire des Dynamiques Industrielles et Territoriales (sous la responsabilité de J.-C. Daumas).
C’est à l’occasion de ce travail pionnier que se sont développés les premiers échanges de savoirs et de compétences entre les bénévoles de l’ARESAC et les chercheur·es de la MSHE. Les bénévoles ont apporté leur expertise de terrain de la forêt de Chailluz, acquise lors de prospections archéologiques, pour éclairer l’interprétation des données Lidar réalisée par les chercheur·es. Ainsi plusieurs centaines de structures mises en évidence par les traitements numériques des chercheur.es ont pu être identifiées comme des charbonnières par les bénévoles de l’ARESAC, qui en connaissaient une trentaine. Dans un premier temps, la collaboration est passée par la vérification sur le terrain des structures identifiées à partir des données Lidar, respectivement par les bénévoles et les chercheur·es. Puis, progressivement, les chercheur·es ont initié les bénévoles à la lecture des données Lidar, la constitution d’un SIG (système d’information géographique), etc.
Le partage des compétences a permis de co-produire une méthode de prospection systématique éprouvée dans le cadre académique d’une thèse et qui fait école désormais*. Ainsi les échanges entre chercheur.es et bénévoles sont devenus un véritable travail commun, dont VOSEGO est un prolongement.
« Grâce à cette histoire commune, nous sommes aujourd’hui relativement autonomes ! » affirme Daniel Daval, responsable de l'ARESAC.
Ainsi, grâce à la mise en place d'un cadre académique solide, patiemment construit par une équipe hybride nourrie d'expertises locales, nationales et internationales, les travaux de terrain de l'action VOSEGO sont aujourd'hui menés de façon experte par les bénévoles.
Elle a été réinvesti dans d'autres programmes d'ampleur comme SOLiDAR dans la région de Chambord (https://journals.openedition.org/adlfi/51231)
De la mise place d'un premier cercle de collaborations
Retour aux bornes
Le programme VOSEGO est né de la demande d'un citoyen*. Préoccupé par la sauvegarde des bornes royales en Haute-Saône, il sollicite la MSHE pour sa compétence et son expérience développée sur Chailluz en partenariat avec l’association ARESAC.
En complément, des recherches en archives sont effectuées dans les mairies et aux archives départementales par des bénévoles de l’ARESAC et par des chercheurs spécialisés.
Le travail réalisé a permis de mobiliser de nouveaux bénévoles dans l’association, qui habitent sur place et ont la disponibilité pour mener à bien les repérages de terrain. Au-delà de l’équipe elle-même, se trouvent agrégés des professionnels et des citoyens qui ensemble mènent un important travail de compilation de données : relevés de terrain croisés avec des données d’archives, des témoignages etc. A terme, cette co-production de données nouvelles devrait déboucher sur des études plus thématiques et analytiques menées avec des chercheur.es.
Dans ce cadre, les bénévoles de l'ARESAC effectuent un inventaire exhaustif du bornage royal dans le périmètre de l’action VOSEGO (environ 300 km2) situé dans les Vosges-saônoises afin de favoriser la préservation des bornes et de participer à leur mise en valeur, en collaboration avec les propriétaires forestiers et en partenariat avec la Communauté de communes des 1000 Etangs et l’office du tourisme.
Parallèlement, un inventaire des vestiges présents dans les forêts est effectué pour le Service Régional de l’Archéologie : charbonnières, carrières, mines, habitats, moulins, usines qui ont disparu, réseaux viaires anciens, etc.
La découverte de bornes cachées est un exemple de cette collaboration fructueuse. En effet, un propriétaire d’une forêt privée adjacente à la forêt domaniale, qui avait entendu parler dans son village du travail d’inventaire des bornes, a signalé à l’équipe de recherche des bornes inconnues jusque-là. Avec le temps, elles se sont trouvées enfouies dans des murets reconstruits plusieurs fois et n'étaient plus visibles. Avec l’aide de l’ONF, les bénévoles ont pu parcourir les limites de la forêt domaniale et retrouver une cinquantaine de bornes cachées.
Au cours de leurs prospections des bornes royales, les bénévoles de l’ARESAC ont observé nombre d’autres vestiges qu’ils décident de documenter. Parmi lesquels, d’anciens moulins nombreux dans ces zones parcourues par les cours d’eau et des mines. L’ARESAC prend appui sur des études menées il y a plusieurs années et développe des collaborations avec les érudits locaux, auteurs de ces études :
- un citoyen enseignant d’histoire-géo en retraite aujourd’hui, auteur d'une étude sur les moulins de la vallée de l’Ognon
- la société d’histoire et d’archéologie de l’arrondissement de Lure (SHAARL), qui a mené une étude d’archéologie minière.
Il s’agit de croiser les connaissances existantes avec la grande quantité d’informations nouvelles collectées grâce à l'interprétation des données Lidar et aux prospections sur le terrain. Ce travail collaboratif permet de mieux repérer les entrées de mine, les types d’aménagements, etc.
De l'élargissement des collaborations et des actions de valorisation
L’initiative VOSEGO a rapidement été soutenue par la Communauté de communes des 1000 Etangs, qui accueille et co-finance chaque année un séminaire au cours duquel les avancées du projet sont présentées et où chercheur·es, bénévoles, professionnels, responsables politiques, citoyens peuvent échanger. Les relations nouées débouchent déjà sur des actions de valorisation en partenariat avec l’office du tourisme des 1000 Etangs, l’ONF et l’éducation nationale.
Plusieurs communes intègrent le travail mené sur les bornes royales dans leurs propres projets d’aménagement de sentiers par exemple, et de valorisation de leur patrimoine. Sur la commune de Haut-du-Them, la maire autorise et encourage l’ARESAC à redresser une borne enterrée pour la mettre en valeur et poser à côté un panneau informatif destiné au public, en concertation avec l’office du tourisme.
A l’automne 2024, l'équipe de l'ARESAC accueille deux groupes de collégiens sur les communes de Belhafy et de Mélisey, avec les agents de l’ONF. Au programme : présentation des bornes royales et du travail d'inventaire, sensibilisation à l'entretien de la forêt, aux maladies des arbres, etc.
De par son format et ses résultats, VOSEGO contribuent pleinement à la dynamique scientifique de la MSHE via l’ORTEP (Observatoire Régional des Territoires, des Entreprises et des Populations) et au travers des thèmes de recherche « Transitions » et « Transferts & circulations ».
Ces travaux intéressent également les entrepreneurs privés qui sont soucieux de produire du bois dans le respect du patrimoine et de l’environnement. Ainsi, la Société Forestière de Groupama est devenue partenaire du projet et le soutiendra financièrement dans les trois années à venir.
« Il y a un vrai échange constructif au niveau du territoire » précise Catherine Fruchart.
Aller plus loin
De Chailluz aux Vosges Saônoises :
Des bornes royales réimplantées en forêt de Chailluz
Action de recherche :
Bornes royales et héritages culturels et environnementaux dans les forêts des Vosges saônoises
Autour de l'action :
- Des bénévoles aux côtés des chercheurs dans les Vosges saônoises
- Contribution d’une citoyenne québécoise au projet Bornes royales
- Dépliant réalisé par l'ARESAC en lien avec l'office de tourisme des 1000 Etangs
- « Les bornes royales sur le territoire », 1000 infos, bulletin d'information de la Communauté de communes des 1000 Etangs, hiver 2023
Contact :
- François Favory, professeur émérite d’histoire ancienne et d’archéologie rurale, rattaché au laboratoire Chrono-environnement et à la MSHE
- Daniel Daval, président de l'ARESAC
Daniel Daval, François Favory
- 2023. Emmaunel Garnier, Daniel Daval, Catherine Fruchard, Brunon Adréani, François Briand, Thérèse Marmier, Pierre Moret « Bornes royales et héritages culturels et environnementaux dans les forêts des Vosges saônoises. Communes de Belhafy, Belonchamps, Haut-du-Them, Château-Lambert, Saint-Barthélemy, Servance, Miellin et Ternuay-Melay-et-Saint-Hilaire »
- 2022. Emmanuel Garnier, Daniel Daval, Catherine Fruchard, Thérèse Marmier, Pierre Moret, François Briand « Bornes royales et héritages culturels et environnementaux dans les forêts des Vosges saônoises. Communes de Haut-du-Them, Château-Lambert, Servance, Miellin et Ternuay-Melay-et-Saint-Hilaire »
- 2021. Emmanuel Garnier, Daniel Daval, Catherine Fruchard, Thérèse Marmier, Pierre Moret, François Briand « Bornes royales et recherche universitaire dans les Vosges saônoises. Communes de Belfahy, Haut-du-Them, Château-Lambert, Fresse et Servance-Miellin »