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Représentation de l’intelligence et stratégies d’apprentissage à l’école : la thèse de Rémi Dorgnier

Rémi Dorgnier a soutenu, le 5 décembre 2024, une thèse en psychologie intitulée « Soutenir l’apprentissage des enfants à l’école primaire : études expérimentales et application pédagogique » (1), dans laquelle il a cherché à mieux comprendre les mécanismes qui sous-tendent les apprentissages, en se concentrant sur deux aspects clés : les représentations que les élèves se font de l’intelligence et les stratégies d’apprentissage qu’ils peuvent employer pour progresser efficacement. Ses résultats sont pour partie parus dans The journal of Educational Research (2) en novembre 2024.

Rencontre avec Rémi Dorgnier. 

Vous montrez dans votre thèse que modifier les représentations que les enfants se font de l’intelligence et parallèlement leur enseigner des stratégies d’apprentissage, par exemple de mémorisation, accroît leurs performances cognitives. Vous soulignez néanmoins qu’il est important de jouer sur les deux tableaux en même temps. Pouvez-vous nous expliquer ?
Dans ma thèse, j’ai montré que les croyances des élèves sur l’intelligence et leur maîtrise de stratégies d’apprentissage sont étroitement liées et agissent en synergie pour améliorer leurs performances cognitives. Voici comment tout cela s’articule. Les représentations que les enfants se font de l’intelligence, par exemple s’ils la perçoivent comme fixe ou malléable, influencent directement leur motivation et leur persévérance face aux défis. Lorsqu’un élève croit que l’intelligence est malléable, il comprend que ses efforts contribuent à son apprentissage. Cette conception l’encourage à persévérer, même lorsqu’il rencontre des difficultés. Cependant, la motivation et les efforts ne suffisent pas si les élèves ne savent pas comment s’y prendre pour apprendre efficacement. C’est là qu’interviennent les stratégies d’apprentissage, comme les techniques de mémorisation. Par exemple, en utilisant l’imagerie mentale pour mémoriser des informations, les élèves peuvent maximiser leurs efforts et mieux atteindre leurs objectifs.
Ces deux éléments — croyances positives et stratégies adaptées — agissent donc de manière complémentaire : des représentations positives soutiennent la motivation et l’effort face à l’apprentissage, tandis que les stratégies optimisent l’efficacité de ces efforts. Cette combinaison est essentielle pour obtenir une amélioration significative des performances cognitives.

Cette approche combinée est novatrice.
Effectivement, de nombreux travaux, comme ceux de Carol Dweck sur les théories implicites de l’intelligence, confirment que des croyances positives sur la malléabilité de l’intelligence favorisent un growth mindset, c’est-à-dire un état d’esprit qui encourage l’engagement et la persévérance. Parallèlement, des études en sciences cognitives montrent que l’enseignement explicite de stratégies d’apprentissage améliore considérablement la capacité des élèves à mémoriser et appliquer leurs connaissances.

Cependant, peu d’études avaient exploré de manière intégrée ces deux dimensions, qui en fait doivent être abordées simultanément pour maximiser leur impact sur les apprentissages des élèves. Ce qui ouvre des perspectives prometteuses pour l’éducation, en mettant l’accent sur une pédagogie à la fois fondée sur des données probantes et adaptable aux besoins des élèves.

Vous vous êtes appuyé sur une démarche expérimentale pour parvenir à ces résultats. Pouvez-vous nous la présenter 
Pour tester nos hypothèses, nous avons travaillé avec plusieurs écoles primaires de la région, allant de Besançon à Belfort, en incluant également des établissements situés dans des zones plus rurales, afin de constituer un échantillon reflétant différentes réalités éducatives. Ensuite dans chaque école, des élèves de CM1 et CM2 ont été répartis en deux groupes : un groupe contrôle et un groupe expérimental, qui ont été « soumis » à des interventions spécifiques, un pré-test et un post-test pour mesurer précisément les effets de nos interventions.

Moi, j’intervenais auprès des élèves du groupe expérimental, à raison d’une heure par semaine pendant six semaines. Je leur proposais des activités, des exercices interactifs pour favoriser l’engagement. Par exemple, pour modifier leurs croyances sur la malléabilité de l’intelligence, je partais de leurs propres expériences en les invitant à réfléchir aux progrès qu’ils avaient réalisés depuis leurs débuts. Je les amenais ainsi à prendre conscience que ces avancées, que ce soit à l’école, dans le sport, ou dans d’autres domaines, avaient nécessité du temps, des efforts et du travail, illustrant concrètement que ces éléments sont au cœur de la malléabilité de l’intelligence.
Je leur ai également enseigner des stratégies d’apprentissage, comme des techniques de mémorisation telles que l’imagerie mentale, qui aide à créer des représentations mentales pour mieux mémoriser les éléments à retenir. Par exemple, pour mieux comprendre le cycle de l'eau, je leur proposais de visualiser l’eau s’évaporant des océans sous forme de vapeur, se condensant pour former des nuages, puis retombant sous forme de pluie, illustrant ainsi chaque étape du cycle de manière imagée, ce qui leur permettait de mieux mémoriser les différentes phases du processus.

En parallèle, les élèves du groupe contrôle ont suivi des interventions éducatives plus classiques, menées par des étudiantes en master, sur des sujets liés aux sciences de la vie et de la Terre. Ces interventions étaient conçues pour maintenir un cadre éducatif comparable au groupe expérimental, tout en évitant de traiter des sujets touchant aux croyances ou aux stratégies d’apprentissage, afin de ne pas biaiser les résultats.

Pour évaluer nos interventions, nous avons utilisé des questionnaires administrés aux deux groupes, mesurant les croyances des élèves sur la nature de l’intelligence, ainsi que des tests cognitifs pour évaluer leurs performances mnésiques. Les analyses ont révélé des effets significatifs dans le groupe expérimental. Les élèves ont montré une évolution positive de leurs croyances, percevant davantage l’intelligence comme malléable et influencée par les efforts. En parallèle, ils ont acquis une meilleure connaissance des stratégies d’apprentissage et ont commencé à utiliser ces outils plus fréquemment. Ce qui a engendré une amélioration de leurs performances.

Vous êtes à l’initiative d’une application numérique, MétaMind, destinée à jouer le rôle que vous avez tenu auprès des élèves lors de vos interventions en classe. De quoi s’agit-il ?
Durant ma thèse, en collaboration avec mes directrices de recherche et dans le cadre d’un partenariat avec les Territoires Numériques Éducatifs du Doubs (TNE), nous avons développé cette application, dont les objectifs sont d’une part, sensibiliser les élèves à la malléabilité de l’intelligence, et d’autre part, leur enseigner des stratégies d’apprentissage adaptées à leurs besoins spécifiques. L’application combine des apports théoriques, des outils interactifs et des éléments ludiques pour accompagner les élèves dans leur apprentissage. Par exemple, elle propose une introduction progressive aux concepts fondamentaux que j’ai étudiés durant ma thèse, comme la motivation et la mémorisation. MétaMind intègre également un système d’aide et de feedbacks personnalisés pour guider les utilisateurs, les aider à surmonter leurs difficultés et renforcer leurs compétences. Pour rendre l’expérience encore plus engageante, l’application intègre un léger processus de gamification : les élèves peuvent personnaliser leur avatar à mesure qu’ils progressent. Enfin, une variété d’exercices est proposée, allant des QCM et textes à trous pour évaluer la mémorisation des connaissances, à des activités expérimentales illustrant les mécanismes d’apprentissage. Par exemple, une activité met en évidence la préférence naturelle du cerveau pour les images, permettant ainsi une compréhension intuitive des concepts clés.

A présent, mon objectif est d’évaluer l’efficacité de MétaMind dans un contexte éducatif. Je viens de commencer un post-doctorat pour travailler là-dessus. Cette application a le potentiel d’avoir un impact significatif sur les compétences métacognitives des élèves, ainsi que sur leurs performances académiques. C’est un projet qui me passionne, parce qu’il allie recherche fondamentale et application concrète, avec des retombées directes pour le monde de l’éducation.

Vous souhaitez dire un mot sur la MSHE, où vous avez réalisé votre thèse et où vous restez encore un an en post-doc. 
Effectivement, la Maison des sciences de l’homme et de l’environnement a vraiment été un cadre exceptionnel pour mes recherches. Son approche pluridisciplinaire et ses outils méthodologiques m’ont permis de développer ma thèse dans des conditions idéales. Ce qui m’a particulièrement marqué, ce sont les échanges que j’ai pu avoir avec d’autres doctorants, non seulement en psychologie, mais aussi dans des disciplines variées, ainsi qu’avec des chercheurs confirmés. J’ai également eu l’opportunité d’interagir avec d’autres experts, en médiation scientifique, édition, technologies de l’information et plein d’autres profils enrichissants. Ces rencontres ont énormément nourri ma réflexion. Je suis très heureux de pouvoir continuer à collaborer avec cette maison pendant mon post-doctorat, ce qui va me permettre d’approfondir mes recherches, notamment sur l’impact des outils numériques dans la pédagogie.

(1) Rémi Dorgnier a mené sa thèse sous la direction de François Maquestiaux, professeur de psychologie cognitive à l’université de Rouen Normandie, Marie Mazerolle, professeure de psychologie cognitive à l’université de Franche-Comté et Laurence Picard, maitresse de conférences en psychologie cognitive à l’université de Franche-Comté. La soutenance s’est tenue devant un jury était composé de Grégoire Borst (professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation, Université Paris Cité), Jérôme Clerc (professeur en psychologie cognitive, spécialiste de l’éducation, Université Grenoble Alpes), Lorie-Marlène Brault Foisy (professeur en neuroscience cognitive pour l’éducation, Université du Québec à Montréal). La thèse s’inscrit dans l’action NEXT de la MSHE.

(2) Rémi Dorgnier, Marie Mazerolle, François Maquestiaux, Laurence Picard, "Enhancing primary school learning through growth mindset and memory strategy interventions", The Journal of Educationnal Research, 1-14. https://doi.org/10.1080/00220671.2024.2431695 

Photo : Rémi Drognier et les membres du jury présents au grand salon de l'UFR SLHS. De gauche à droite : François Maquestiaux, Laurence Picard, Jérôme Clerc, Rémi Dorgnier, Marie Mazerolle, Grégoire Borst.