Alexis Leprince, doctorant labellisé par la MSHE, a soutenu une thèse en langue et littérature française le 10 décembre 2022, consacrée à l’auteur dramatique Jean-Luc Lagarce. Conduite sous la direction de Pascal Lécroart et Anne-Françoise Benhamou (1), sa recherche a notamment pris appui sur les archives personnelles de l’auteur, qui ont été numérisées à la MSHE de 2013 à 2016 pour rejoindre le Fonds d'Archive NUMérique de Franche-Comté (FANUM), un projet porté à la MSHE par Pascal Lécroart.
Entretien avec Alexis Leprince.
Entretien avec Alexis Leprince.
Votre thèse s’intitule Jean-Luc Lagarce entre scène et texte : genèse d’un auteur dramatique, qui était Jean-Luc Lagarce ?
Alexis Leprince : Jean-Luc Lagarce était un comédien, metteur en scène et auteur d’origine franc-comtoise. Il commence après le bac des études de philosophie, mais se forme en parallèle en tant qu’acteur au conservatoire de Besançon, et il se lance très vite dans l’aventure théâtrale, au début des années 1980. Il fonde avec quelques camarades du conservatoire – et notamment Mireille Herbstmeyer qui l’accompagnera durant toute sa carrière – la compagnie de théâtre La Roulotte, avec laquelle il met en scène dès le début les textes qu’il écrit. Lagarce est très rapidement repéré et il peut présenter ses spectacles dans les grandes salles de la région, en particulier au Théâtre du casino – aujourd’hui le CDN de Besançon. Ses textes sont aussi très vite remarqués : ils sont sélectionnés par Théâtre ouvert, institution qui œuvre à la découverte des nouvelles écritures dramatiques, et l’un de ses textes est retenu par le comité de lecture de la Comédie française en 1982, alors qu’il a seulement vingt-quatre ans ! C’est d’ailleurs pour son travail en tant qu’auteur dramatique qu’il est particulièrement célèbre aujourd’hui. Il est considéré comme l’un de celles et ceux, avec Gabily, Koltès, Renaude, et d’autres, qui ont redonné un souffle à l’écriture dramatique en France dans les années 1980-1990. Malheureusement, comme beaucoup d’auteurs de cette génération, il meurt prématurément du SIDA en 1995. Aujourd’hui, il est l’un des auteurs français contemporain le plus joué en France, sa pièce Juste la fin du monde est au programme du baccalauréat et du CAPES cette année, après avoir déjà été au programme de l’agrégation en 2012. Elle a également été adaptée au cinéma par Xavier Dolan, et le film a remporté le prix du jury au festival de Cannes en 2016.Votre recherche s’inscrit dans les études de génétique des textes. De quoi s’agit-il ?
La génétique textuelle est une branche des études littéraires qui se donne pour objet l’étude des brouillons d’écriture dans le but de s’interroger sur les processus d’écriture, sur le « faire » du fait littéraire. Concrètement, il s’agit d’abord de collecter, de mettre en ordre, et de déchiffrer les brouillons d’une œuvre ou d’un auteur. Ensuite, l’observation des brouillons d’écriture permet d’exprimer des hypothèses sur le geste créateur de l’écrivain et d’éclairer sa manière d’écrire. Dans le cas de Lagarce, l’ensemble des brouillons, déposés à l’IMEC par François Berreur, son ancien collaborateur et désormais exécuteur testamentaire, ont été numérisés à la MSHE. Ils sont consultables sur le site FANum, Fonds d’Archives Numériques. Ce site présente une interface de consultation qui permet ainsi d'ouvrir un grand nombre de versions des textes en même temps sans manipuler ni abîmer les archives, de faire défiler en vis-à-vis plusieurs versions d’une œuvre dramatique, de traiter les images par des agrandissements et des traitements de l’image, netteté, luminosité, permettant d’améliorer considérablement la lisibilité et donc le déchiffrement de certains brouillons manuscrits.
La génétique textuelle est une branche des études littéraires qui se donne pour objet l’étude des brouillons d’écriture dans le but de s’interroger sur les processus d’écriture, sur le « faire » du fait littéraire. Concrètement, il s’agit d’abord de collecter, de mettre en ordre, et de déchiffrer les brouillons d’une œuvre ou d’un auteur. Ensuite, l’observation des brouillons d’écriture permet d’exprimer des hypothèses sur le geste créateur de l’écrivain et d’éclairer sa manière d’écrire. Dans le cas de Lagarce, l’ensemble des brouillons, déposés à l’IMEC par François Berreur, son ancien collaborateur et désormais exécuteur testamentaire, ont été numérisés à la MSHE. Ils sont consultables sur le site FANum, Fonds d’Archives Numériques. Ce site présente une interface de consultation qui permet ainsi d'ouvrir un grand nombre de versions des textes en même temps sans manipuler ni abîmer les archives, de faire défiler en vis-à-vis plusieurs versions d’une œuvre dramatique, de traiter les images par des agrandissements et des traitements de l’image, netteté, luminosité, permettant d’améliorer considérablement la lisibilité et donc le déchiffrement de certains brouillons manuscrits.
Qu’est-ce que ce travail d’analyse nous apprend sur l’auteur Lagarce ?
Il faut savoir que le corpus des brouillons de Lagarce est particulier, car il s’agit d’un auteur de théâtre : les textes qu’il écrit sont donc destinés à être portés à la scène. Il y a donc un double mouvement du geste créateur : celui qui mène au texte, et celui qui mène à la représentation de ce texte sur une scène. Ces deux moments de création peuvent connaître des phases simultanées : il est ainsi habituel que les dramaturges remanient leurs textes lors des répétitions. Victor Hugo lui-même a modifié le texte d’Hernani lors du travail avec les acteurs de la Comédie française, d’autres auteurs plus récents, comme Claudel, Beckett ou Brecht, ont souvent réécrit leurs textes suite au passage au plateau. Le travail d’analyse nous fait remarquer une première chose, c’est que Lagarce ne modifie que très peu, et le cas échéant très à la marge, ses textes dramatiques lorsqu’il les met en scène. Or, Lagarce débute dans un moment où la rénovation théâtrale et le bouillonnement créatif est porté par des artistes clairement plus engagés du côté de la scène que du côté du texte : c’est l’époque où triomphent les grands metteurs en scène que sont Chéreau, Mnouchkine, Strehler… Ces femmes et ces hommes ont révolutionné le théâtre depuis la scène. Lagarce, lui, fait valoir la capacité de l’écriture dramatique à interroger et à repenser le théâtre, tout en apparaissant comme légitime pour le faire car il a lui aussi l’expérience du plateau : il n’est pas un auteur isolé dans sa tour d’ivoire, méconnaissant la mécanique spécifique de la scène. Deuxièmement, l’étude de ces brouillons d’écriture sur l’ensemble de sa carrière, de 1980 à 1995, montre une évolution assez nette dans le geste d’écriture. Ainsi, après l’échec important des représentations d’une de ses pièces en 1985, De Saxe, roman, il opère de profonds changements dans son écriture et ses brouillons en témoignent. Lagarce change des choses dans sa façon d’écrire en fonction des réussites ou des échecs professionnels qu’il rencontre, et des perspectives qu’il envisage. Le travail d’analyse des brouillons a ainsi permis de montrer à quel point il pouvait être fondamental de prendre en considération l’environnement d’un écrivain, ses échecs et ses réussites, ses appuis et soutiens, son inscription dans le milieu professionnel, pour comprendre au plus près son geste créateur, qui est aussi le fruit d’une négociation entre un désir et un environnement social.
(1) Pascal Lécroart est professeur de littérature française à l’université de Franche-Comté et Anne-Françoise Benhamou professeure en études théâtrales à l’Ecole normale supérieure PLS