Partageons nos expériences, échangeons nos savoirs
Nos projets de recherche autour du triptyque « mémoires, transmissions, femmes » cherchent à favoriser les échanges intergénérationnels sur des questions considérées traditionnellement comme féminines et en raison de cela invisibilisées. Le recueil de témoignages de femmes nous permet d’analyser des expériences pour réfléchir à la possibilité de changer des pratiques qui ont été définies par une société patriarcale ne (re)connaissant pas les corps des femmes ni des personnes transgenres.
Les menstrues constituent l’une des thématiques sur lesquelles nous avons travaillé. Des ateliers autour des expériences menstruelles nous permettent d’échanger des informations et d’en recueillir d’autres pour changer ensemble les pratiques sur un phénomène physiologique, culturel et social qui est au cœur de la vie de beaucoup de personnes mais resté longtemps tabou.
Ouvrir le dialogue, apprendre et changer les pratiques ensemble
Améliorer ensemble notre santé menstruelle
Notre travail actuel sur les menstruations s’insère dans un projet plus vaste autour des mémoires. Il est né de la constatation de l’invisibilisation de certaines personnes et d’expériences absentes des représentations qui nous entourent. Dans le cas des menstruations, cela mène souvent à une précarité et une certaine forme de vulnérabilité qui ne se situent pas seulement sur le plan matériel mais aussi sur celui des savoirs et de l’accès à la santé. Nous travaillons avec des chercheur.es spécialistes en représentations (littérature, audiovisuel), des sociologues, des associations (Planning Familial, Plan9) et des femmes dans des situations très diverses.
Cette proposition est née du travail d’un groupe d’étudiantes et d’enseignant.es qui se sont réunies une fois par semaine pendant une année universitaire pour partager leurs idées sur le vécu des règles menstruelles. Le groupe s’est nourri d’informations recueillies auprès de nombreuses personnes qui ont été interviewées et de nos propres conceptions et expressions artistiques. Même si les échanges ont essentiellement eu lieu dans le cadre universitaire, c’est aussi en tant que citoyen.ne.s du monde que nous avons contribué à ce travail. Issues de formations, de milieux sociaux et même de pays différents, même si nous sommes tous.tes aujourd’hui enraciné.es en Franche-Comté, nous avons partagé connaissances et ignorances sur un sujet essentiel dans nos vies et, malgré cela, si peu visible.
Ces ateliers nous permettront de réfléchir ensemble à la gestion des menstruations : quels produits sont les plus adéquats lorsque les conditions d’hygiène ne sont pas idéales ? Comment améliorer l’accès à ces produits ? Les ateliers serviront aussi à libérer la parole et à mieux comprendre comment les expériences menstruelles sont vécues : est-ce que les règles sont douloureuses ? Est-ce que la personne souffre de maladies liées aux règles ? Est-ce qu’elle est accompagnée médicalement ?
De l’expérience artistique & des témoignages
Nous avons mis en place des ateliers créatifs pour échanger autour des menstruations à partir de l’expérience artistique. Nous avons dessiné, découpé et collé des photographies et autres visuels. Nous avons écrit, mis en évidence les mots et les expressions utilisés dans nos sociétés.
La création libère la parole, pendant que nous créons avec nos mains, la discussion s’installe, elle favorise l’échange horizontal d’expériences. Il est indispensable d’être consciente de la diversité des circonstances personnelles pour éviter la tentation d’arriver à des théories simplistes et à des positions solutionnistes qui ne prennent pas en compte l’hétérogénéité des personnes menstruantes.
Nous nous sommes lancé.es à la recherche de témoignages d’autres franc-comtois.es. via des entretiens sur les expériences et les transmissions des savoirs menstruels nous avons enrichi notre approche.
Enfin, nous avons réalisé des entretiens et des débats autour de projections de films.
Et finalement ?
Nous avons beaucoup appris avec les femmes de toutes les générations qui ont participé au travail de recherche en témoignant et apportant leur point de vue. Cette démarche de recherche “en société” est fondamentale pour sortir d’un traitement académique de la question, nécessairement plus normalisé et qui conduirait nécessairement à l’invisibiliser de nouveau.
Les résultats de cette expérience ont fait l’objet de la publication d’un livret qui rend compte des créations artistiques, des témoignages, des travaux de recherche sur l’histoire, la sociologie ou l’analyse cinématographique. Il a volontairement été conçu comme un objet graphique et largement accessible pour partager quelques souvenirs et réflexions issues de ce travail mais également parce que nous pensons qu’on ne parle pas encore assez des règles. En effet, il ne s’agit pas seulement d’une affaire de « petites bonnes femmes » mais aussi d’une question qui nous concerne tous.tes, parce qu’elle a à voir avec nos corps, notre santé, notre environnement…
Ce type de projet permet d’aborder un problème apparemment anodin dans toutes ses dimensions et complexités socio- voire chrono- culturelles.
Limites et perspectives
Les premiers ateliers nous ont montré les difficultés à établir une communication horizontale et le risque de ne pas répondre aux attentes des participantes, limitées comme nous sommes par de nombreuses contraintes (de budget, d’emplois du temps, de surcharge de travail). Des stratégies dans ce sens seront à mettre à l’épreuve dans les prochains ateliers, qui nous amènerons au cœur de la cité, au contact de populations en situation de vulnérabilité.
Dans la continuité du projet, nous voudrions passer du travail sur la visibilité des règles menstruelles au travail sur les pratiques de gestion des menstruations et de la prise en charge médicale. Nous ne sommes pas des professionnel.les de la santé, mais nous travaillons avec les récits et les échanges, en tant que chercheures en représentations culturelles, qui s’avèrent décisives pour la construction des savoirs médicaux.
Aller plus loin
Livret Menstrues, 2023
Projets de recherche « Mémoires en mouvement » et « Femmes, expériences, archives »
Et pourtant elles étaient là, documentaire, 2021
Contact
Marta Álvarez, maitresse de conférences, laboratoire CRIT EA3224