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Des objets produits en France,

en contexte transnational d'enfermement

Écrits et objets produits dans un contexte d’internement sont mouvants. Ils sont aussi soumis à des déplacements multiples : de l’univers carcéral vers l’extérieur (familles ou amis), à la transmission intergénérationnelle au sein des familles après la fin de la Seconde Guerre mondiale et enfin au musée. En France, les Français et des ressortissants alliés (notamment des Britanniques) sont prisonniers des Allemands durant l’Occupation (1940-1944), puis les Allemands à leur tour sont prisonniers à la Libération à partir de l’été 1944. Sont relevés des thèmes transversaux à ces expériences carcérales variées qui permettent de relier celles-ci : des lieux d’enfermement parfois identiques – telle la citadelle de Besançon – invitent à penser ensemble ces similitudes, ce qui ne veut pas dire les aligner.

L'univers carcéral

L’univers carcéral est un petit monde en soi où, bien que la découverte de papier et crayon en cellule soit répréhensible, l’écriture clandestine et l'écriture autorisée cohabitent de concert. La cellule devient le reflet d’un quotidien incertain et d’un nouveau monde intérieur.

La Caserne Vauban, Fronstalag 142 de Besançon

Chant composé par les religieuses britanniques, Noël 1940
Inv. 2007.324.54
Photo MRDB


Aujourd'hui en voie de devenir un écoquartier, l’histoire de la Caserne Vauban à l’heure de la Seconde Guerre mondiale est méconnue. Car cette caserne, construite de 1911 à 1913, a servi, presque trente ans plus tard, de camp d'internement pour civils britanniques et canadiens à partir du 5 décembre 1940. Deux de ces documents sont des lettres écrites par des religieuses, rassemblées dans le bâtiment C de la caserne, et témoignent de l'activité de la chapelle. Le chant présente une forme de témoignage saisissant de la réalité vécue, de la dureté de l'hiver. Certains dessins montrent des religieuses traversant difficilement une cour enneigée. 
Au cœur de l’hiver 1940-1941, ces dernières étaient tellement nombreuses (416 pour les seules Britanniques), que le Lieutenant-Colonel Robert Dutriez, propriétaire de ces lettres, a qualifié la caserne du plus grand couvent du monde. Le chant montre le maintien d’activités religieuses et l’importance de la foi – en l’occurrence chrétienne mais aussi musulmane - en ces temps (car les Fronstalags internaient aussi, d’après certains témoignages, des prisonniers maghrébins des colonies françaises).
Nicolas Bouchez
Les aquarelles de Bernadette Wirtz-Daviau, internée britannique

Journal, Bernadette Wirtz-Daviau, août 1941- septembre 1944
Dessins et aquarelles, Bernadette Wirtz-Daviau, Fronstalag de Vittel
Inv. 2014.1481.01 à .35
Photo MRDB

Bien que domiciliée dans le 15e arrondissement de Paris, Bernadette Wirtz-Daviau (1894-1970), originaire de Vendée, vit en 1940 avec sa fille Maud au Val Fleury à Apremont où elle est arrêtée le 18 août 1941 car franco-britannique. Après quelques jours en cellule à La Roche-Sur-Yon, elle est transférée le 24 août à Vittel, dans les Vosges. Vittel est un camp d’internement formé de neuf hôtels loués par l’Occupant le 1er mai 1941. Destiné à interner des civils anglais et américains, des prisonniers des quatre coins de l'Europe occupée y sont envoyés. Le Fronstalag est libéré le 12 septembre 1944 par les Alliés, mais les internés sont évacués dix-sept jours plus tard. Femme de lettre et artiste, elle peint des portraits de codétenues et des aquarelles de scènes croquées depuis sa chambre ou durant ses sorties sous surveillance. Malgré les activités permises plutôt variées, l'ambiance est morose et pesante et l'anxiété due au manque de nouvelles de ses proches ne disparaît pas. Les lettres et visites qu'elle reçoit sont plutôt rares et certaines apportent de mauvaises nouvelles.

 
Nicolas Bouchez

Herbert Müller (1910-2001), peintre et prisonnier de guerre

 
Né en 1910 en Saxe, Herbert Müller poursuit des études brillantes en arts appliqués à l’université de Dresde dans les années 1930. Il se spécialise dans l’aquarelle et participe à plusieurs expositions avant d’être mobilisé en 1943 en tant que soldat de deuxième classe (Gefreiter). Encerclé par les troupes américaines dans la poche de la Ruhr, il est fait prisonnier à Wuppertal le 16 avril 1945.
Il est alors envoyé dans le camp temporaire de Coblence puis dans le camp américain d’Epinal avant d’être remis aux autorités françaises et enfermé dans le dépôt 85 de Besançon (citadelle de Vauban du XVIIe siècle qui sert de camp de prisonniers de guerre de 1944 à 1948) du 18 juillet 1945 au 6 juin 1946. Il multiplie les représentations de ces camps et leur environnement, mais aussi de ses camarades de détention.
Codétenus et scènes de vie en internement des prisonniers de guerre allemands par Herbert Müller

Portraits et dessins, papier, crayon de papier, couleurs, 10 juillet 1945 – 14 mai 1946
Inv. 2015.1502.01.4, 2015.1502.01.6, 2015.1502.01.7, 2015.1502.02 (01 à 10)
Photo MRDB


En 2015, la fille de Herbert Müller vient à la citadelle de Besançon donner au musée une dizaine de portraits et dessins ainsi qu’une aquarelle, tous réalisés par son père en détention. Sur ces œuvres, on retrouve les portraits des codétenus les plus proches de Herbert Müller, mais aussi deux dessins de prisonniers durant une pause. Ainsi, peut-on observer une scène où les détenus écoutent l’un de leurs camarades jouer de l’accordéon. Analyser ces représentations visuelles de la détention et de la vie des détenus est donc une approche nécessaire pour comprendre la situation de ces dépôts.

Ces dessins sont peut-être moins habituels que les documents écrits pour évoquer les prisonniers, mais ils constituent des sources toutes aussi importantes. Ce qui est représenté sur ces dessins – le quotidien des prisonniers, leurs occupations, leur moral – mais aussi ce qui est absent, comme les corvées, peuvent ainsi renseigner l’historien sur les conditions d’enfermement à Epinal et à Besançon. La réalisation de ces œuvres est aussi porteuse de sens car il s’agit pour le prisonnier de conserver son identité, celle d’avant la captivité.

Clément Gambioli
Mon art m'a sauvé la vie pendant la captivité, les aquarelles de Herbert Müller

Aquarelles, dessins noir et blanc et couleur, formats divers
Inv. 2015.1497.01, 2015.1497.02, 2015.1502.01 (1 à 3, 5 et 8 à 11)
Photo MRDB


Dès les débuts de sa captivité, Herbert Müller cherche à représenter les lieux dans lesquels il est détenu.

En effet, moins d’un mois après sa capture, il effectue une aquarelle du camp temporaire américain de Koblenz (Prisoners of War Transient Enclosure A-10). Le peintre est ensuite transféré entre début juin et début juillet au camp permanent américain d’Épinal dans les Vosges (Continental Central Prisoners of War Enclosure n°30). Il produit alors de nombreux dessins et aquarelles représentant le camp, qui se situe à la caserne Courcy en plein centre de la ville, et l’environnement qu’il voit depuis celui-ci. Herbert Müller est ensuite transféré aux autorités françaises qui le placent au dépôt 85 de Besançon.

Il continue sa production artistique avec le soutien du capitaine George Dumoulin, officier chargé de la discipline de décembre 1944 à octobre 1945 et ancien commandant du dépôt. Ce dernier fournit au peintre allemand le matériel nécessaire pour continuer ses créations. En quittant le dépôt, Herbert Müller fait don de deux aquarelles au capitaine Dumoulin, qui les lègue ensuite à sa fille. Celle-ci en a fait don au Musée de la Résistance et de la Déportation en 2015. La même année, la fille de Herbert Müller, Monika Hesse, résidant en Allemagne, est venue à la citadelle et a légué une partie des œuvres de son père.

Clément Gambioli
Créer pour survivre

Pochette de Colette Zingg, maquette de Philippe de Vomécourt et cuillère de Robert Chanut
Tissu, couverture, boîtes de thé, morceau de plancher, 1942-1944, Rennes, Besançon, et Lyon
Inv. 2019.1450.03, 2019.1554.01, 970.29.01
Photo Studio Bernardot


Il est difficile pour les détenus de posséder la moindre chose car à leur arrivée ils sont dépouillés de la grande majorité de ce qu’ils portent. C’est en utilisant le système de la « débrouille »  que ces trois résistants prisonniers parviennent à créer des objets en détention.
Colette Zingg (1908-2007) est une résistante franc-comtoise arrêtée le 13 juin 1942 et internée à la Prison de la Butte. Elle y réalise une pochette portant ses initiales avec sa couverture de détenue. Philippe de Vomécourt (1902-1964) est un agent du SOE (service secret britannique) arrêté le 12 novembre 1942, puis détenu à la prison de Saint-Paul à Lyon dans laquelle il reste jusqu’en juillet 1943 et fabrique la maquette de sa cellule. Cette création faite à partir de boîtes à thé est étonnante de détails. Robert Chanut (1924-2016) est arrêté le 14 février 1944 par la Gestapo lyonnaise. Il est transféré à la prison du fort Montluc à Lyon entre le 15 et le 26 février. Les conditions de détention sont extrêmes. Il décide alors de se fabriquer une cuillère avec un morceau de plancher et une lame de rasoir trouvés par terre dans le baraquement des Juifs. Tous ces objets ont des points communs : une création dans un difficile contexte d’enfermement, mais aussi une volonté de survivre et de s’évader par la pensée en créant. Les objets ont tous des itinéraires étonnants qui permettent de mettre en avant les parcours de leur propriétaire.
Cloé Chalumeaux

De la prison aux proches

Les objets ou documents produits en contexte carcéral à destination des familles ou des amis et compagnons de lutte à l’extérieur de la prison peuvent être étudiés non seulement pour leur contenu, souvent émouvant, mais aussi pour leur matérialité : parfois supports d’écriture précaire, ils attestent certes du dénuement, mais aussi de l’agency que déploient les détenus faisant preuve d’ingéniosité et de ruse pour tromper la surveillance de leurs gardiens. Ce faisant, ces détenus apparaissent comme des sujets et non comme des acteurs passifs face à leur sort.

George Philip Apperley (1881-1969), caserne de Saint-Denis (région parisienne), 1940-1944

Cartes postales peintes envoyées par George Philip Apperley, Caserne Saint-Denis (région parisienne), 1940-1944
Inv. 2018.1543.0
Photo MRDB
George Philip Apperley, né le 14 novembre 1891 à Londres, est un ancien combattant de la « Grande Guerre ». Dans l'entre-deux-guerres, il reste en France, se marie et devient commerçant de presse à Sanvic, puis travaille pour la compagnie transatlantique au Havre. Suite au décret allemand du 22 juillet 1940, devant s'appliquer à tous les sujets britanniques séjournant en France dans la zone occupée, il est conduit une semaine plus tard à la Grande caserne Saint-Denis. Il y est interné jusqu’au 15 août 1944, soit dix jours avant la Libération de Paris. Cette grande caserne devient en juillet 1940, le Fronstalag 220, un lieu de transit pour le transfert des prisonniers en Allemagne.

Un an plus tard, elle se spécialise et devient l'un des huit camps d'internement pour civils créés en zone occupée où sont internés 893 civils britanniques jusqu’alors détenus au Fronstalag de Drancy. Ce sont exclusivement des hommes valides, les femmes, enfants et personnes âgées sont transférés à Vittel, dans les Vosges. La peinture et le dessin semblent avoir été le mode d’expression choisi par George Philip dans son courrier. Il n’était a priori pas le seul interné à peindre des cartes, mais les autres exemples connus sont rares. Cet ensemble a été donné par un membre de l’équipe du musée, Karine Dupoux-Binder, arrière-petite-fille de George Philip Apperley.

 
Nicolas Bouchez
Préserver le lien avec sa famille, Marguerite Socié

Porte-aiguille de Marguerite Socié
Inv. 2020.1579.01
Photographie de Marguerite Socié à la Libération
Photo Studio Bernardot


Marguerite Lorenzini épouse Socié (1915-2004) a participé activement avec son mari à la Résistance en Franche-Comté au sein du mouvement Front National. Dès son apparition en 1941, elle y assume plusieurs responsabilités en hébergeant des camarades, en étant agent de liaison ou encore en participant à la distribution de tracts clandestins dans les boîtes aux lettres. Elle est ensuite arrêtée à Valentigney le 19 avril 1942. L’année 1942 est une année très éprouvante en France pour la Résistance. Une terrible répression se définissant par des arrestations, des exécutions sommaires et des déportations est mise en place par les Allemands pour contrer des actions résistantes, chaque jour plus nombreuses.

D’abord écrouée à Belfort, Marguerite Socié est condamnée à 18 mois de prison. Elle est ensuite incarcérée successivement dans les prisons de Besançon, de Rennes et de Fresnes avant d’être internée dans les camps de Romainville puis Compiègne. Elle est ensuite déportée le 31 janvier 1944 au camp de concentration pour femmes de Ravensbrück. Lors de son incarcération à Rennes, elle confectionne pour sa fille Éliane une boîte à couture et un porte-aiguilles. Préservés et légués en 2020 par ses enfants au musée, ces objets symbolisent le lien gardé intact entre la détenue et sa famille.

Tristan Muret
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Support d'écriture

Détails des lettres rédigées par Tony Bonal à la prison de Dijon, bandes de tissu, juillet 1944
Inv. 978.617.01.1 et .2, 978.617.02.1 et .2
Photo Studio Bernardot


Alice Magnin, Tony Bonal, Colette Guerrier de Dumas et Germaine Tillion sont plongés dans les ténèbres de l’univers carcéral qui est désormais le leur. Les cellules sont nues, humides et insalubres. Durant la Seconde Guerre mondiale, sous l’Occupation, les prisons françaises sont un monde d’isolement, de privation, de violence et de peur : un commissaire de police n’hésite pas à rendre visite à Germaine Tillion captive à Fresnes afin de lui annoncer, en lui mentant, qu’elle serait fusillée le lendemain matin. Pour les captifs, ce qui est essentiel, est avant tout de lutter pour tenir le coup. Une trentaine de lettres envoyées par Alice Magnin, qui ont été assez bien cachées dans le linge sale à destination de la famille, nous sont parvenues.

Tony Bonal et Germaine Tillion utilisent eux aussi ce système mais en choisissant des bandes de tissu, ce qui montre que ce moyen de communication est sans doute assez répandu. Germaine Tillion utilise par ailleurs un sac à linge à double fond qui devient alors son principal moyen de transmettre ses lettres, par le biais d’une amie, Marcelle Monmarché. Parfois, Alice Magnin a plusieurs fois vu ses lettres disparaître. C’est une source de grande détresse car ils attendent chaque jour avec impatience les lettres de leurs proches, l’absence de nouvelles les coupe encore plus du monde, notamment lorsqu’ils sont mis au secret, et ils craignent alors le pire pour leur famille. Ces lettres sont des témoignages directs de ce qu’ils ressentent à un instant T.

 
Patrick Mougel
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Mouchoirs pour communiquer, lettres d'Alice Magnin et de Colette de Dumast

Ensemble de lettres transmises par Colette Guerrier de Dumast à sa famille, prison de Dijon, 1942-1943, mouchoir et papier hygiénique.
Inv. 2021.1610.01
Photo Studio Bernardot


Alice Guichard épouse Magnin (1899-1983) et Colette Canaux de Bonfils épouse Guerrier de Dumast (1892-1966) sont deux résistantes, originaires de Haute-Saône et du Doubs (Pesmes et Roset-Fluans) arrêtées en septembre et octobre 1942. Alice gère le garage familial tandis que Colette est responsable du domaine agricole de son château. Colette est affiliée au réseau résistant Jean de Vienne et organise avec un passeur l’évasion de prisonniers vers la zone libre ou la Suisse. Alice résiste aux côtés de son mari et de son fils aîné. Elle est agent de renseignement, service du contre-espionnage, réseau Kléber, au moment de son arrestation à Dole. Elles sont toutes deux emprisonnées à la prison de la Butte à Besançon, puis transférées à la prison de Dijon au début du mois de novembre et mises au secret, ce qui les empêche de recevoir des nouvelles de leurs proches.
Elles sont déportées à Ravensbrück en avril 1943, et sauvées par la Croix-Rouge suédoise en avril 1945. À Dijon, Alice et Colette partagent la même cellule et créent des liens. La solidarité entre elles permet d’adoucir leurs journées et de se soutenir. Elles mettent au point un système ingénieux afin de communiquer avec leurs familles : les lettres sont écrites sur du papier hygiénique et cachées dans le linge sale transmis à leurs filles. La lecture de ces lettres dévoile des demandes simples comme les cadeaux de Noël des enfants, des plaintes sur le régime alimentaire, mais aussi l’ignorance quant à leur sort. Elles pensent en effet se rendre dans une ferme où des femmes travaillent en Allemagne.
Cloé Chalumeaux

Les derniers mots

Lus, recopiés et publiés sous l’Occupation, les derniers mots des fusillés ont été très tôt étudiés par les historiens, comme François Marcot dans l’ouvrage La vie à en mourir. Si certaines lettres nous sont parvenues, d’autres sont restées dans les familles, avant d’intégrer récemment les fonds du musée.

Leurs derniers mots

Dernière lettre de Bernard Maitre à sa famille, 16 février 1944
2021.1604.02
Dernière lettre de Gilbert Poulet à son épouse, Prison de la Butte, Besançon, 24 mars 1944
Inv. 2021.1592.01
Lettre d'adieu d'Eugène Barthélémy, papier à cigarette
Inv. 2019.1576.01.01 et .02
Photo Studio Bernardot


Le besoin d’écrire est commun à tous les fusillés. L’annonce de l’exécution est brutale et chacun ressent le besoin, vital, d’écrire une dernière fois à sa famille, ses amis, ses proches. Il y a deux catégories de lettres : les lettres qui ont été autorisées par les autorités, le résistant condamné ayant alors accès au matériel nécessaire, comme c’est le cas de Gilbert Poulet, et les lettres clandestines réalisées avec ce que les détenus ont réussi à voler ou à cacher. Lorsqu’elles sont autorisées, les lettres sont envoyées aux familles des victimes. Lorsqu’elles sont clandestines, elles sont confiées à un camarade, un aumônier, ou, abandonnées avant l’exécution, attendent d’être ramassées. C’est le cas de la dernière lettre de Bernard Maitre, jetée en boulette depuis le camion menant à l’exécution et récupérée par un autre résistant. Elles circulent ensuite dans les milieux familiaux et amicaux avant d’être confiées au musée où elles peuvent être exposées à tous afin que soit visible ce qui animait les résistants, leurs dernières pensées mais aussi leurs engagements.
Patrick Mougel
Une (en) quête : les archives retrouvées de Bernard Maitre

Archives, photographies et objets en lien avec Bernard Maitre dont sa dernière lettre
Inv. 972.62.01 à 11
Inv. 972.177.01
Inv. 2021.1604.01 à 04
Photo Studio Bernardot


Bernard Maitre est une haute figure de la Résistance en Franche-Comté. Après avoir évité au Casabianca un torpillage allemand en 1940, il participe ensuite au sabordage du vaisseau sur lequel il servait en 1942 à Toulon, l’Aurore. Il s’engage à partir de 1943 comme FTP dans la compagnie Valmy. Après avoir aidé à plusieurs sabotages ferroviaires, vols d’armes et l’exécution de trois collaborateurs en Haute-Saône ainsi que dans le Territoire de Belfort, il est arrêté comme plusieurs de ses camarades et fusillé le 16 février 1944 à la Combe Freteuille, à Frotey-lès-Vesoul.
Ce corpus très riche permet de retracer la vie de Bernard Maitre : son service dans la Marine, ses actes de Résistance, sa mort, les nombreux honneurs et hommages qui ont suivi. Ce don a été rendu possible grâce aux recherches entreprises par le musée qui ont permis de retrouver un membre de la famille qui a orienté ensuite le musée vers des neveux et nièces. La rencontre avec ces derniers à Carcassonne est émouvante. C’est grâce à la confiance placée par sa famille dans le musée que ces archives ont pu rejoindre les collections, et incarner ainsi le parcours de cette figure de l’engagement résistant en Haute-Saône.
Patrick Mougel

Et après ?

Si la Seconde Guerre mondiale semble aujourd’hui ne plus relever de l’histoire du temps présent avec la disparition des témoins, les mémoires familiales, elles, restent bien vivantes. Les récits, archives et objets se passent de génération en génération, avant d’intégrer parfois les collections du musée avec pour dénominateur commun la volonté de transmission.
Interview d’Alexia Delrieu, arrière-petite-fille de Bernadette Wirtz-Daviau, novembre 2021

Nicolas Bouchez. Avez-vous découvert beaucoup de choses dans son journal que votre famille ne vous avait pas communiquées, par ignorance, manque d'informations... ?
Alexia Delrieu. J’ai tout découvert dans le journal, car je ne connaissais que quelques anecdotes et des choses très générales comme : elle a été internée à Vittel comme femme d’Anglais… et le mariage de ma grand-mère ou un soldat allemand lui demande de couper sa robe, ma grand-mère seule au monde à 20 ans...

Votre ressenti vis-à-vis du parcours de votre arrière-grand-mère a-t-il évolué ?
Pour moi, bizarrement, la guerre avait eu plus d’impact du côté paternel où elle était très présente et beaucoup racontée car j’ai un grand-oncle Compagnon de la Libération, fondateur du mouvement Liberté.
Nicolas Bouchez

Bernadette Wirtz-Daviau (à droite) et sa fille Maud
Carte d’identité, 1950
© DR


Interview de Marguerite Decreux (100 ans) et sa fille Annie Gaudillière

Dessins réalisés par une douzaine de prisonniers de la Caserne Vauban à Marcel et Blanche Biaudet. 6 pages, 14 portraits accompagnés de mots de remerciement.
Inv. 2013.1463.01.1
Marguerite Decreux le jour de ses 100 ans, 2021
Photo MRDB

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Marcel et Blanche (née Leschot) Biaudet, parents de madame Marguerite Decreux, possédaient un restaurant-café-épicerie avenue Clemenceau à Besançon. Ils ont eu trois filles : Lucienne, Marguerite (donatrice de ces pièces, née en 1921) et Suzanne (surnoms : Lulu, Guiguite, et Suzon, qui figurent parfois sur les dessins). Dans un des messages accompagnant les dessins, un prisonnier fait mention d’un « si sympathique orchestre ». Il s’agit des trois sœurs Biaudet, qui faisaient du violon (Marguerite), du violoncelle, et du piano.
Marguerite Decreux. Mes parents avaient un petit restaurant simple, une épicerie... Ils n’avaient pas les moyens de partir... […] On avait fermé une fois notre petit établissement. Les Allemands nous l'ont fait rouvrir. Mes parents avaient les clefs de bien des endroits de gens qui étaient partis. Il y eut un vieil Allemand qui venait chez nous avec un vélo… Je crois qu’il avait un œil crevé. Il nous a dit : « Il y a des prisonniers au régiment 60. Si vous voulez, est-ce qu'on peut leur apporter quelque chose ? »
Cet Allemand venait deux fois par semaine avec un cageot vide. Mes parents lui remplissaient son cageot de nourriture, comme on pouvait parce qu'on avait déjà faim, on avait déjà pas grand-chose... Mais on avait un petit jardin qui nous a énormément aidés. En retour, il ramenait un billet des prisonniers comme quoi ils l'avaient bien reçu.
Un Allemand… C’était quand même un ennemi pour nous.
Nicolas Bouchez
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Herbert Müller en train de peindre
© DR
Entre oubli et mise en valeur : la mémoire de la captivité en France chez Herbert Müller et sa famille. Propos transmis par Monika Heße, fille de Herbert Müller, à Clément Gambioli, décembre 2021
Mon père a seulement mentionné que la situation en captivité était tout à fait terrible – mais que grâce à son talent de peintre (beaucoup de peintures à l'huile, de portraits, d'aquarelles de paysages de la citadelle et de ses environs), il avait suscité un grand intérêt de la part des officiers et des supérieurs, qui voulaient tous être portraiturés et qui trouvaient aussi les paysages très bien – en échange, il obtenait un peu de liberté. Pendant cette période difficile, il y a eu aussi des moments d'« auto-conservation » sous forme de travaux artistiques de nombreux prisonniers – par exemple le livre plein d'humour compilé par Willi Bender Steinpilze (j'en ai encore un exemplaire, le musée doit en avoir un aussi).
Pour Noël, une crèche de deux mètres de large a été réalisée par mon père pour la chapelle [Saint-Étienne à la citadelle] avec des silhouettes – je ne sais pas si quelque chose existe encore. En d'autres termes, on pouvait trouver et vivre un peu de légèreté à côté de tout ce qui était pesant.
En 2015, lorsque nous avons eu l'intention de partir en vacances en France, nous avons décidé de faire un détour par Besançon. C'était très amusant – peu avant le début de notre voyage, j'ai envoyé un e-mail au musée pour annoncer la visite – à ce moment-là, le musée avait reçu deux aquarelles de madame Dumoulin signées Herbert Müller et ils se demandaient : mais qui est Herbert Müller ?
Personne ne le savait et c'est à ce moment-là que j'ai demandé s'il y avait un intérêt à apporter des photos de mon père de la captivité. La demande a immédiatement été transmise à Anne-Laure Charles, qui faisait son mémoire à l'époque – tout le monde était surpris de cette coïncidence et c'est ainsi que nous sommes entrés en contact.
Transmettre son histoire
Rencontres de Cloé Chalumeaux et de deux donateurs, Hélène Rousseau, fille de Suzanne, petite-fille d’Alice Magnin, et Yves Alba, fils de Christine, petit-fils de Colette Guerrier de Dumast, 29 octobre et 12 novembre 2021

Au Musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon, les donateurs ont une place centrale. Ils sont à l’origine des dons et donc des collections. La récente Collecte 39-45 organisée à l’occasion du changement de l’exposition permanente a permis de découvrir de nouveaux objets gardés dans les greniers et les archives des familles. Les rencontres avec les donateurs sont essentielles, d’une part pour renseigner le don mais aussi d’autre part convaincre du rôle de conservation et de transmission de la mémoire des musées.
Hélène Rousseau et Yves Alba sont deux acteurs de la transmission du patrimoine familial. Certaines archives sont confiées directement par les témoins eux-mêmes, d’autres, souvent redécouvertes au décès des personnes concernées.

Cloé Chalumeaux
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▲ Hélène Rousseau
◄ Yves Alba

Photo MRDB