Le 3 septembre 2020, Inès Pactat a soutenu sa thèse en archéologie et archéométrie intitulée « L’activité verrière en France du VIIIe au XIe siècle. Résilience et mutations d’une production artisanale » (1). La recherche, qui a bénéficié d’un financement de la Région Franche-Comté de 2012 à 2015, a été conduite sous la direction de François Favory puis de Philippe Barral et la co-direction de Danièle Foy. Elle s’inscrit dans l’action « ArchaeDyn » au sein du pôle 1 « Dynamiques territoriales » de la MSHE.
Inès Pactat s’est intéressée aux mutations qu’a connu l’artisanat du verre au haut Moyen Âge. Le verre – premier matériau de synthèse inventé par l’homme – était depuis l’Antiquité produit dans des ateliers primaires au Proche-Orient et exporté sous forme de lingots en Occident où il était refondu et travaillé par des artisans verriers. À l’époque médiévale, cette chaîne de production se transforme et finit par être entièrement exécutée dans les ateliers occidentaux. Ce changement impacte la composition du verre : le natron utilisé au Proche-Orient disparaît progressivement pour laisser place à d’autres composants. « Au Moyen Âge, se met en place un nouveau système de production, situé entièrement en Occident, – explique Inès Pactat – dans lequel les artisans utilisent des ressources locales et mettent au point de nouvelles recettes de fabrication. C’est ainsi que les cendres de plantes deviennent un composant essentiel du verre médiéval. » Si cette mutation technologique avait été constatée par les archéologues, elle était en revanche très peu documentée. « On ne savait pas comment elle s’était opérée. Je me suis attachée à comprendre les conditions de cette mutation et ses influences sur la production du verre et l’artisanat verrier. » - poursuit la jeune chercheuse.
Pour ce faire, en l’absence de données archéologiques ou écrites sur les structures artisanales, Inès Pactat a eu recours à l’étude du matériau lui-même, à travers un important corpus d’objets en verre soufflé découverts en France et datés entre le début du VIIIe et la fin du XIe siècle. 114 collections, constituées en grande partie de fragments de vaisselle, de luminaires, de vitrages et de déchets d’artisanat ont été examinées. Construire et analyser le corpus a nécessité plusieurs années de travail. « J’ai contacté les musées, les collectivités territoriales, les sociétés privées d’archéologie préventive – reprend Inès Pactat – afin de répertorier les collections existantes partout en France métropolitaine. Ensuite je les ai étudiées sur place ou à Besançon lorsqu’il était possible de les emprunter. » Pour chacune, elle a dressé un inventaire des pièces et établi une fourchette chronologique de leur production. La datation est particulièrement délicate dans la mesure où aucun référentiel n’existe, le verre de cette période étant peu étudié. Pour pallier cette absence, la chercheuse a travaillé sur la base des décors et des techniques employées et a recherché les formes des objets à partir des fragments. « Ensuite, j’ai fait une sélection des verres les mieux datés et les mieux identifiés pour procéder à des analyses physico-chimiques des composants du verre. Un quart des collections, soit environ 500 objets, a été analysé par spectrométrie de masse au Centre Ernest Babelon à Orléans (2), spécialisé dans l’analyse du verre et des monnaies. La spectrométrie de masse présente l’avantage d’être une méthode non destructive. » – explique Inès Pactat. Ce travail lui a permis de créer une typo-chronologie du verre creux en France, détaillant composition, période de production, contexte d’utilisation. De là elle a dégagé trois grandes phases dans la production du verre. Jusqu’au VIIIe siècle, le verre au natron en provenance du Proche-Orient domine, même si quelques signes précurseurs de son abandon sont observés dès le VIIe siècle. La rupture avec le verre d’importation s’opère progressivement au VIIIe siècle. Les verriers commencent à modifier les recettes de fabrication et introduisent du verre recyclé dans leur production puis des cendres de plantes. Entre le VIIIe et le Xe siècle, les deux systèmes de production cohabitent : la production de verre au natron dans les ateliers primaires du Proche-Orient et la production de verre occidental de composition variée et mélangée (verre recyclé, au plomb, aux cendres). C’est à partir des Xe-XIe siècles que la production occidentale se stabilise et que domine le verre aux cendres riches en chaux et en potasse. « Autour de l’An Mil, les verriers occidentaux se détachent progressivement des ateliers primaires orientaux, pour gagner en autonomie et atteindre un nouvel équilibre dans la production du verre – conclut la chercheuse. Face à une baisse des importations, certainement due aux troubles politiques au Proche-Orient, les artisans ont révélé une capacité de résilience, en mobilisant des ressources locales innovantes pour poursuivre leur art et répondre à une demande grandissante. » Le contrôle de toute la chaîne opératoire par l’Europe Occidentale a des effets rétroactifs en Orient, où la demande diminuant, l’offre finit par s’effondrer. Cela se traduit par l’adoption des cendres sodiques en Égypte et au Levant, en remplacement du natron. En Occident, cette évolution engendre une transformation des métiers connexes à la fabrication du verre et une réorganisation de l’artisanat. « Les ateliers verriers auparavant proches des lieux de consommation s’implantent désormais à proximité des lieux d’extraction des matières premières – poursuit Inès Pactat. On voit ainsi fleurir des ateliers forestiers. Les fours doivent devenir plus importants, de nouveaux outils sont créés, etc. Finalement, ce sont de véritables villages d’artisans verriers qui voient le jour à la fin du Moyen Âge. »
(1) Le jury était composé de :
Philippe Barral, professeur, université de Bourgogne Franche-Comté (directeur)
Luc Bourgeois, professeur, université de Caen Normandie (rapporteur)
Patrick Degryse, professeur, université de Leiden (examinateur)
François Favory, professeur honoraire, université de Bourgogne Franche-Comté (ex-directeur)
Danièle Foy, directrice de recherche émérite, CNRS/Centre Camille-Jullian (co-directrice)
Bernard Gratuze, directeur de recherche, CNRS/IRAMAT (tuteur)
Marie-Dominique Nenna, directrice de recherche, CNRS/IFAO (rapportrice)
(2) Le Centre Ernest Babelon est rattaché à l’Institut de recherche sur les archéomatériaux (IRAMAT, UMR 5060).