maison des sciences de l'homme et de l'environnementclaude-nicolas ledoux - UAR3124

Où construire des éoliennes tout en préservant le paysage cadre de vie ?

debout devant une maquette de paysage en 3D des personnes dont on ne voit que les mains discutent

Afin de comprendre ce qui se joue dans la définition de l’impact paysager des éoliennes sur un territoire d’implantation, un groupe d’habitants concernés par un projet éolien en cours sur leurs communes ont été réunis au cours d'ateliers participatifs.

Ce projet de recherche en co-construction avec la société a été mené dans le cadre du projet EOLE-BFC porté par ThéMA, laboratoire fédéré, avec d’autres, au sein de la Maison des sciences de l’homme et de l’environnement (MSHE). Le travail mené a été réalisé et présenté dans la thèse de Marion Nativel, soutenue en décembre 2023.

Réfléchir avec les habitants à l’impact des éoliennes sur leurs paysages quotidiens

Nous cherchons à comprendre les enjeux impliqués dans la définition de l’impact des éoliennes sur les paysages quotidiens tels qu’ils sont perçus et vécus par les personnes concernées. Pour comprendre la manière dont ces personnes se représentent cet impact, nous avons réuni un groupe de citoyen.ne.s concerné.e.s par un projet sur leur commune de résidence. Il s’agissait de mobiliser des positionnements divers sur le projet et sur l’éolien en général (pour, contre, sans avis) afin de construire des scénarios d’implantation.

« J’ai choisi la photo avec les éoliennes qui sont à l’arrière d’un village. Ce qui m’a interpelé dans cette photo, c’est la question de la distance. Par contre, visuellement les éoliennes ne me choquent pas du tout, elles s’intègrent bien. Ce qui me pose question sur cette photo, c’est qu’on n’a aucune notion de distance, aucune notion si les éoliennes sont en forêt ou dans les cultures. C’est pour ça que j’ai réagi à cette photo, ni pour ni contre, c’est le point de vue qui pose question. »
Participant, atelier 2

Des ateliers participatifs pour construire des scénarios

La démarche participative s’est déroulée en trois ateliers collectifs de 3h. Des entretiens semi-directifs avec chacun des participants ont été réalisés en amont puis en aval des ateliers. 

Pendant les ateliers, trois chercheurs ont adopté la posture d’animateurs-facilitateurs en mobilisant des outils issus de l'éducation populaire, de sorte à favoriser l’expression libre de tous les participants et le rééquilibrage des rapports de domination autour du tryptique « expression – analyse – délibération ».

Etat des lieux du territoire

Pendant le premier atelier, les participants ont défini un état des lieux du territoire, permettant de mettre en évidence l’état paysager initial correspondant et notamment les vues sensibles pour le groupe de participants.

Les caractéristiques des pires et des moins pires scénarios

Au cours du deuxième atelier, nous avons introduit l’élément paysager « éoliennes » comme un élément potentiellement perturbateur de l’état paysager initial. Les participants ont co-construit des scénarios d’implantation mettant en évidence différentes configurations possibles qu’ils jugeaient être les « pires » et les « moins pires ». Exemple avec le premier groupe de citoyen.ne.s.

Pire scénario du groupe 1

Selon les participants, les « pires » scénarios sont ceux qui maximisent la visibilité des éoliennes : elles sont nombreuses, à la limite des 500 mètres réglementaires des habitations, encerclent les villages où se trouvent dans la plaine au sud et en contrebas des villages, vers laquelle la plupart des habitations sont orientées. Les pires scénarios sont aussi ceux qui minimisent les retombées financières pour les communes porteuses du projet : sur des terrains agricoles, donc privés ou sur les communes voisines.

Meilleur scénario du groupe 1

Au contraire, dans les « moins pires » scénarios, les éoliennes sont éloignées d’un minimum de 1 km des habitations voire en limite communale pour être le plus loin possible des zones habitées. Elles sont en forêt communale, au nord où les deux villages partagent une frontière commune, pour permettre des retombées équitables aux deux collectivités porteuses du projet. Elles sont au nombre de 3 à 6, le nombre minimal possible pour que le parc éolien soit rentable.

Finalement, les critères caractérisant les « pires » et « moins pires » scénarios sont les retombées économiques et la visibilité des éoliennes depuis les zones habitées.

Les retours des participants sur les indicateurs proposés

Les scénarios ont ensuite été modélisés par nous, les scientifiques impliqués, afin de proposer des indicateurs pour quantifier le niveau de visibilité des éoliennes pour chacun des scénarios. Ces indicateurs ont été par exemple représentés sous la forme de cartes montrant le nombre d’éoliennes visibles depuis chaque point de l’espace, en particulier depuis les habitations et les chemins empruntés pour les balades.

Ces indicateurs ont fait l’objet de discussions : révélaient-ils des tendances inattendues ou imaginées au moment de la construction des scénarios ? étaient-ils parlants pour des personnes non expertes en modélisation spatiale ? Quels indicateurs leur semblaient les plus pertinents ? 

Carte de visibilité du scénario 1

Nombre d'éoliennes visibles depuis les habitations et les chemins de loisir

Le troisième atelier, sur les indicateurs de visibilité a montré que :

  • L’indicateur jugé le plus pertinent pour rendre compte de la visibilité des éoliennes était la hauteur angulaire. La hauteur angulaire d’éoliennes visibles rend compte de la place prise par les éoliennes dans le champ de vision d’un observateur.
  • La vue de dessus offerte par les cartes de visibilité a permis aux participants de mieux se rendre compte de l’ensemble des zones depuis lesquelles les éoliennes seraient visibles. D’ailleurs ces zones s’étendent bien au-delà des limites communales, ce qui amène certains participants à s’interroger :  qu’en est-il de la prise en compte des avis des habitants de ces communes voisines dans le processus décisionnel lié au projet éolien ?
  • Cette vue de dessus aurait toutefois méritée d’être couplée à des vues de dedans, sous la forme de photomontages depuis des points précisés par les participants.

Au-delà de l’impact paysager et des controverses éoliennes

Une telle démarche invite à questionner la portée et les limites de l’objet paysage pour aborder le sujet de l’éolien sur un terrain d’implantation potentiel. Elle permet d’éprouver la place du paysage par rapport à d’autres enjeux pouvant préoccuper les potentiels riverains. Enfin, elle interroge la place du chercheur en sciences humaines et sociales sur ce type de sujets de controverses.

Les apports et les limites de cette démarche pour les participants

Cette démarche a permis :

  • L’ouverture d’un espace de discussion apaisé où les participants ont pu échanger quels que soient leur avis sur l’éolien et le projet qui les concerne ;
  • D’apporter une visibilité et des visualisations du projet éolien en cours : le projet éolien devient concret et se matérialise dans les représentations des habitants des deux communes qui visualisent mieux les localisations possibles des éoliennes sur le territoire ; la cartographie de la visibilité des éoliennes matérialise l’exposition aux nuisances visuelles des populations riveraines, habitant ou non les communes porteuses du projet éolien.

En revanche, l’entrée par le paysage et la visibilité des éoliennes ne permet pas :

  • d’aborder d’autres dimensions associées à la perception du paysage comme la biodiversité ou le son,
  • d’aborder d’autres enjeux pourtant sources d’interrogations pour certains participants : retombées économiques, la production électrique, une comparaison avec d’autres systèmes de production d’électricité, les impacts environnementaux et sanitaires des éoliennes tout au long de leur cycle de vie.
  • de remettre en question le choix de l’éolien dans un projet politique local comme moyen de mise en œuvre de la politique nationale de transition énergétique.
  • De réfléchir plus globalement en prenant en compte l’ensemble des modèles de transition énergétique.
maquette 3d du pasage et atelier

Les apports et les limites de cette démarche pour les chercheur.e.s

Dans un cadre méthodologique verrouillé sur les considérations paysagères et pour des photos de paysage décontextualisées, une définition commune de l’impact paysager semble émerger. Autrement dit, en contraignant les répondants à choisir entre deux photos d’un corpus limité, on obtient nécessairement des configurations « préférées ». Ainsi, les paysages de faible qualité / diversité (monocultures) sont jugés plus propices à l’implantation d’éoliennes que les forêts, et ce résultat n’oppose pas les personnes pour ou contre l’éolien.  

Dans un contexte plus territorialisé, ces mêmes configurations peuvent devenir des « visions non souhaitables » du territoire. Ainsi, pour les participants aux ateliers les champs sont aussi jugés de moindre qualité paysagère et plus propices pour la construction d’éoliennes que les forêts. Pour autant, compte-tenu de la topographie particulière des communes et surtout des modalités de redistribution des retombées financières, la construction des éoliennes dans les forêts communales est jugée plus appropriée. En effet, les loyers seraient alors perçus par les collectivités et non par un propriétaire privé.

Finalement, dans un contexte où les paysages considérés sont ceux du territoire des observateurs / participants, les considérations paysagères se retrouvent contrebalancées par d’autres considérations techniques, réglementaires, économiques, etc. On aboutit aussi à une définition commune de l’impact paysager, mais le paysage en tant que tel peut devenir secondaire. La démarche participative met en évidence cette limite imposée par le cadre du photoquestionnaire.

Et après ?

Les perspectives de recherche ouvertes par la démarche participative seraient de reproduire une démarche similaire dans d’autres contextes, relativement à d’autres systèmes énergétiques, en intégrant la multi-dimensionnalité du paysage dans le processus de réflexion (visibilité, son, biodiversité) ou encore en considérant l’ensemble des territoires impactés par la construction d’une infrastructure énergétique tout au long de son cycle de vie afin d’approfondir les enjeux de justice spatiale et environnementale soulevés pendant les ateliers.

La démarche participative peut aussi avoir des pistes d’application opérationnelles pour repenser la méthodologie pratiquée lors des études d’impact paysage relatives à la construction de parcs éoliens en associant davantage les populations locales.

Aller plus loin

Marion Nativel. Éoliennes en vues : comprendre les impacts des éoliennes sur les paysages modélisés, représentés et vécus de Bourgogne-Franche-Comté, thèse de doctorat en géographie, université Bourgogne Franche-Comté, 2023 ⟨NNT : 2023UBFCC036⟩
https://theses.hal.science/tel-04521518

Contact :
Marion Nativel, docteure en géographie et aménagement, chercheuse associée, laboratoire ThéMA CNRS UMR 6049