Les paysages que nous connaissons aujourd’hui sont le résultat de dynamiques nombreuses, notamment humaines, et très anciennes, remontant à plusieurs millénaires. Comprendre comment se sont organisées ces dynamiques dans la longue durée et comment elles façonnent l’espace est au centre des travaux de Philip Verhagen et Laure Nuninger. Philip Verhagen est professeur en archéologie spatiale et chercheur au laboratoire CLUE+ (Research Institute for Culture, History and Heritage) de l’université Libre d’Amsterdam. Il collabore depuis plusieurs années avec Laure Nuninger, chargée de recherche CNRS au laboratoire Chrono-environnement et responsable du pôle de recherche « Dynamiques territoriales » à la MSHE. Philip Verhagen a séjourné à la MSHE Ledoux du 20 avril au 19 mai 2018, grâce à un financement de l’université de Franche-Comté. Ce séjour a permis aux chercheurs de travailler sur le projet dont ils sont co-responsables à la MSHE : « MoveScape – comprendre les dynamiques territoriales passées à travers l’étude intégrée de la mobilité, des voies et des réseaux de transport ». Il a aussi été l’occasion de partager savoir-faire méthodologique et acquis de la recherche, à travers un atelier, une conférence et une formation assurés par Philip Verhagen (1).
La collaboration de Philip Verhagen et Laure Nuninger débute dans les années 90. Un premier programme de recherche « Archaeomedes » porte sur l’analyse spatiale des choix d’implantation des habitats sur la longue durée : pourquoi certains centres de peuplement se développent, deviennent des villes tandis que d’autres espaces tendent vers le déclin ? Puis de 2009 à 2014, le projet « IHAPMA » a pour objet les choix d’implantation des habitats ruraux gallo-romain relativement au potentiel socio-environnemental et d’accessibilité via les réseaux de transport. Cette action sera l’occasion pour des doctorants de réaliser des séjours scientifiques dans l’université partenaire (2) et marquera la première visite de Philip Verhagen à la MSHE Ledoux en 2014. Le projet « MoveScape », qui débute en 2016, grâce à un financement Chrysalide de l’UFC, s’inscrit dans la continuité de ces programmes en s’intéressant aux questions de mobilité. Selon les chercheurs, la structuration de l’espace et des paysages, passés et actuels, a aussi à voir avec les voies, les chemins, les routes… Pourtant, ces derniers sont sous-exploités dans l’analyse des territoires. L’objectif de « MoveScape » est de mieux saisir les mobilités, de construire des indicateurs de mobilité plus pertinents que ceux généralement utilisés et d’expérimenter différentes technologies pour aborder la question (analyse spatiale, télédétection, 3D…). Pour cela, les chercheurs proposent de travailler conjointement trois axes souvent distincts dans la recherche : la détection des vestiges de voies, la modélisation des mobilités par simulation informatique et l’analyse théorique des pratiques de mobilité passées. Leur projet associe plusieurs équipes de recherche en France, au Pays-Bas, en Slovénie et au Royaume-Uni et plusieurs approches – archéologie, histoire, géographie, télédétection, informatique (3). Il prend aussi appui, dans une perspective comparative, sur plusieurs cas d'étude en Europe et en Amérique.
Les différents programmes de recherche évoqués abordent donc le processus de construction des paysages sous des angles différents et à l’aide de techniques, dont l’emploi en archéologie est innovant. Il en va ainsi des méthodes de modélisation et de simulation mises en œuvre dans le projet « MoveScape ». Par exemple, les chercheurs se sont intéressés aux mouvements de population entre villes et espaces ruraux dans la zone du Limes au Pays-Bas. Ils ont cherché à comprendre comment se sont organisés ces mouvements durant les trois siècles de l’époque romaine. Des éléments sont connus, routes et rivières par exemple, grâce à l’étude des vestiges mis au jour par les fouilles ou la télédétection. Mais reconstruire l’évolution des réseaux de communication sur plusieurs siècles reste difficile, dans la mesure notamment, où la chronologie des différents sites de peuplement n’est pas certaine. Les chercheurs sont donc passés par une analyse des différents points de peuplement dans le temps et ont élaboré tous les scénarios possibles de développement de l’habitat et des activités humaines. Pour cela, ils mobilisent des outils classiques, tels les SIG (système d’information géographique) et l’analyse de réseaux (analyse par graphes), l’originalité de leur démarche reposant sur la manière de les mettre en œuvre pour comprendre la dynamique du peuplement. La plausibilité des scénarios développés est ensuite évaluée en confrontant résultats de la modélisation et enregistrements archéologiques.
L’intégration des différentes approches théorique, modélisatrice et d’observation par télédétection implique un questionnement qui fera l’objet des rencontres bisannuelles TRAIL 2018 (Training and Research in the Archaeological Interpretation of Lidar) qui auront lieu en octobre prochain en Slovénie, avant une prochaine réunion de travail consacrée à « MoveScape » à Amsterdam en 2019.
(1) L’atelier « Étude de la mobilité et des flux de circulation dans les territoires passés et actuels » a eu lieu les 23 et 24 avril. La conférence du 15 mai s’intitulait « Trouver les limites du Limes – modélisation de l’économie, de la démographie et des transports aux confins de l’Empire romain ». Elle peut être visionnée ici. La formation du 16 mai portait sur l’analyse « des choix de localisation à l’aide d’un système d’information géographique ».
(2) Mark Groenhuijzen, doctorant en archéologie à l’université Libre d’Amsterdam est venu un mois à l’UFC et Antonin Nüsslein, également doctorant en archéologie à l’université de Strasbourg et de Franche Comté, est allé un mois à Amsterdam, accueilli par l’équipe CLUE+.
(3) C’est également dans ce cadre que Damien Vurpillot a effectué un séjour post-doctoral dans le laboratoire SpinLab de l’université Libre d’Amsterdam, collaboration qui vient de déboucher sur le dépôt d’un projet eScience auprès de la NWO.