Depuis la Préhistoire, les groupes humains agissent sur les espaces dans lesquels ils vivent. Le feu a été l’un des principaux outils permettant d’adapter l’environnement à leurs besoins. Depuis quand les régimes de feux sont-ils conduits par l'homme et quelles en sont les conséquences ? Les pratiques agropastorales modifient la biodiversité des écosystèmes. Comment activités humaines et biodiversité interagissent-elles sur le très long terme ? Depuis l'invention de l'agriculture au Néolithique, l’homme utilisateur du feu dégrade-t-il la biodiversité ?
Ces questions sont au centre du travail mené à la MSHE Ledoux par Simon Connor et Boris Vannière. Boris Vannière est directeur de recherche CNRS au laboratoire Chrono-environnement et coordinateur du pôle 2 « Interactions homme – environnement » de la MSHE. Il a invité Simon Connor, de l’université de Melbourne en Australie, pour un séjour scientifique d’un an, financé par la région Bourgogne-Franche-Comté. Simon Connor, chercheur en géographie et en sciences de la vie, est spécialiste des interactions entre l’homme et la végétation. Son séjour, qui a débuté en janvier 2018, s’est effectué dans le cadre du « Groupe de recherche international sur la construction des paysages en Europe et le rôle des activités humaines », piloté par Boris Vannière au sein du pôle 2.
Les chercheurs s’attachent à comprendre les effets durables des activités humaines, en particulier des usages du feu, sur la biodiversité végétale en région méditerranéenne en particulier. Depuis la Préhistoire, l’homme se sert du feu pour conquérir des espaces ou entretenir des pâtures. Il contribue ainsi à façonner les paysages et son environnement. Dans les pratiques agropastorales, les feux de fin d’hiver par exemple, d’une intensité modérée, favorisent la richesse des espaces herbacés, utilisés pour l’élevage. Ces pratiques, qui perdurent au-delà du Moyen-âge, sont souvent créatrices de biodiversité. Les chercheurs parlent de « régime de perturbation intermédiaire », pour évoquer des modifications relativement modérées de l’écosystème. Puis au cours des deux derniers siècles, avec le déclin du pastoralisme et l’imbrication plus forte des espaces habités, des espaces cultivés et plus « sauvages », le feu est perçu comme un danger. Il est moins utilisé voire interdit et peu à peu remplacé par des moyens mécaniques, souvent plus intrusifs pour les sols. Ces changements ont naturellement des conséquences sur la biodiversité végétale, pouvant aller jusqu’à sa dégradation.
Les chercheurs peuvent comprendre comment se sont opérés ces processus, du Néolithique à nos jours, grâce à des données polliniques et sédimentaires de charbon de bois. Les particules, qu’il est possible de dater à une cinquantaine d’années près, permettent de retracer l’histoire de la végétation, avec les premières, et des feux, avec les secondes. De la sorte, ils peuvent analyser les évolutions qu’a connues la biodiversité dans une zone déterminée. La recherche menée se situe à une échelle plutôt régionale, sur des zones allant d’une dizaine à plusieurs centaines de kilomètres. Simon Connor, durant son séjour à la MSHE, a développé des modèles statistiques innovants pour étudier les relations entre l’homme, le feu et la biodiversité végétale, au cours des dix derniers millénaires. A partir de données existantes produites par d’autres chercheurs lors travaux antérieurs, il a pu établir des corrélations entre activités humaines, feux et biodiversité, montrant l’impact de l’homme sur les écosystèmes dès la Préhistoire. Le travail effectué jusque-là s’est essentiellement appuyé sur des données espagnoles, mais le projet porté par Boris Vannière vise à étendre l’étude à tout le bassin méditerranéen, puis à l’Europe - zones qui seront elles aussi analysées à l’aide des modèles statistiques développés par Simon Connor. A terme, il s’agit de déboucher sur des préconisations visant à adapter les modes de gestion actuels de ces écosystèmes. La connaissance de leur histoire sur une très longue période est essentielle, par exemple pour cibler les actions de restauration ou de conservation, sur les espaces dégradés aujourd’hui mais riches par le passé. Selon les chercheurs, c’est la condition d’une gestion durable, qui pourra se concevoir à l’échelle centennale.