Histoire du commerce et de la distribution

Actu20201119 revolutions commerceLes révolutions du commerce. France, XVIIIe-XXIe siècle vient de paraître aux Presses universitaires de Franche-Comté dans la collection des Cahiers de la MSHE, sous la direction de Jean-Claude Daumas, professeur émérite d’histoire économique et membre honoraire de l’Institut universitaire de France. Jean-Claude Daumas a dirigé depuis 2015 le programme de recherche « Métamorphoses du commerce et régimes de consommation (France, XVIIIe-XXIe siècle) » dans le pôle 3 « Nomes, pratiques et savoirs » de la MSHE, qui a réuni les principaux spécialistes français de l’histoire du commerce.
Rencontre avec Jean-Claude Daumas.

Quelles sont les grandes innovations qui ont marqué l’histoire du commerce ?
Jean-Claude Dumas : L’histoire du commerce est marquée par d’innombrables innovations mais rares sont celles qui ont bouleversé le paysage commercial. Seuls les grands magasins sous le Second Empire et les grandes surfaces durant les Trente Glorieuses ont marqué des étapes décisives dans le processus de modernisation du commerce. Si, dans les deux cas, on peut parler de révolution commerciale, c’est parce que, en abaissant les prix, ces nouveaux formats commerciaux ont permis d’élargir la consommation à de nouvelles clientèles. Les grands magasins ont transformé en marchandises tout l’art de vivre bourgeois en étendant progressivement leur clientèle des classes supérieures aux classes moyennes. Quant aux grandes surfaces, elles ont constitué le volet social du fordisme en vendant en masse ce que l’on produisait en masse.

Comment les évolutions du commerce et de la consommation s’articulent-elles ?
Les évolutions du commerce et de la consommation sont indissociables. La distribution est toujours le reflet fidèle de la société : sa structure dépend des dynamiques démographiques, du niveau de revenu des ménages et de la stratification sociale. Aussi longtemps que la population rurale l’emporte, que les revenus progressent faiblement et que les écarts sociaux sont considérables, le petit commerce domine car les modes de consommation sont très différenciés. A l’inverse, avec les progrès de l’urbanisation et de la salarisation, la consommation tend à s’uniformiser, ce qui crée les conditions favorables à la concentration du commerce. Sans l’hypermarché qui a mis à la disposition de l’ensemble de la population des biens banalisés à des prix accessibles, il n’y aurait pas eu consommation de masse.
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Comment peut-on analyser les difficultés actuelles de la distribution ? Et comment les distributeurs ont-ils réagi ?
La crise actuelle de la distribution est d’abord celle de l’hypermarché qui a du mal à s’adapter aux attentes nouvelles des consommateurs qui veulent davantage de service et de conseil et sont soucieux de santé et d’écologie, tout en continuant à faire du prix le critère prioritaire. D’autre part, l’hypermarché subit de plein fouet la concurrence des grandes surfaces spécialisées, du hard discount, des magasins de proximité, des circuits courts, et du commerce en ligne. Il essaie de se réinventer en réduisant la surface de vente, en mettant l’accent sur le frais, le bio et le local, et en développant le commerce en ligne et la livraison. Toute la question est de savoir si ces transformations seront suffisantes pour répondre aux évolutions de la demande et contrer l’offensive des géants du numérique.

Quelle est la place de la distribution en « circuit court » ?
Le commerce en « circuit court » repose sur la proximité entre le producteur et le consommateur et permet au producteur de réaliser des économies sur toute la chaine de distribution et ainsi d’accroître ses marges. Les motivations des consommateurs sont variées : certains recherchent une alimentation de meilleure qualité et plus saine, quand d’autres, aux préoccupations plus « citoyennes », veulent soutenir les petits producteurs ou défendre l’environnement. Même si ce mode de distribution demeure minoritaire – en 2015, il représentait 5,7 % du commerce alimentaire – il connait un engouement certain mais qui concerne surtout les cadres et les professions intellectuelles.

Le e-commerce représente-t-il une nouvelle révolution commerciale ?
Depuis les années 1990, les spécialistes de la distribution annoncent une nouvelle révolution commerciale structurée autour de l’Internet. Cependant, on peut douter que l’amazonisation intégrale du commerce soit une perspective réaliste. Aux États-Unis, on assiste à une double évolution : Amazon s’est converti au commerce physique tout en renforçant sa plateforme, alors que Walmart a massivement investi dans le numérique et a intégré le e-commerce dans ses magasins classiques. En France, où les choses sont moins avancées, on assiste au même processus d’hybridation du commerce physique et en ligne. Du reste, si l’effacement des magasins est peu vraisemblable c’est parce qu’ils ne sont pas que des points de vente : non seulement ils participent à la structuration de l’espace urbain mais ce sont aussi des lieux de rencontre et de sociabilité. Le commerce ce n’est pas seulement du click and collect !