Retour sur la journée d’étude «Fin de vie et prison»

actu20161209retourjetude PARME 1La fin de vie en prison soulève des questions médicale, juridique et éthique, qui se posent avec d'autant plus d'acuité que la population carcérale tend à vieillir. La recherche PARME, menée à la MSHE Ledoux par Aline Chassagne (1) doctorante en socio-anthropologie et Aurélie Godard-Marceau (2) socio-démographe, s'est intéressée la situation des personnes détenues malades relevant de soins palliatifs. Conduite de 2011 à 2014, avec le soutien financier de la Fondation de France et coordonnée par Régis Aubry (CHRU de Besançon), la recherche PARME est inédite en France. C'est dans une démarche de valorisation de ce travail que s'est tenue la journée d'étude « Fin de vie et prison » le 23 novembre 2016, devant plus d'une centaine de personnes : chercheurs, professionnels du soin et de la justice, visiteurs de prison, étudiants... La journée a été introduite par Jean-Marie Delarue, ancien contrôleur général des lieux de privation de liberté et membre du conseil consultatif national d'éthique (CCNE). Après avoir dressé les conditions générales de vie en prison (permanence du regard d'autrui, absence totale d'initiative...), J.-M. Delarue a décrit le parcours de soins des détenus malades. Ce dernier est organisé par la loi, l'administration pénitentiaire et les services hospitaliers (de l'entretien à l'entrée en prison jusqu'à l'hospitalisation le cas échéant). Pour autant dans sa mise en œuvre, les détenus malades, et plus encore ceux en fin de vie, sont confrontés à nombre de difficultés, que l'étude PARME a analysé (3).
 
Le volet épidémiologique (4) de la recherche PARME a permis de quantifier, pour la première fois en France, les situations de fin de vie en prison. Il a mis au jour des cas, certes rares au regard de la population carcérale, mais cependant plus fréquents que ne l'attendaient les acteurs institutionnels (avec 50 cas recensés en trois mois). En complément, les chercheuses ont mené une étude qualitative (5) pour cerner la trajectoire médicale et pénale du détenu, interrogeant la mise en œuvre de l'accompagnement jusqu'à la suspension éventuelle de la peine. Ce volet de la recherche a notamment montré que le cheminement du détenu malade est soumis à une évaluation constante de sa vulnérabilité et de sa dangerosité ; entre ces deux pôles, le curseur est variablement situé selon les acteurs et leur culture de métier, selon les lieux, selon la personnalité des détenus eux-mêmes...

Lorsque les patients sont maintenus en établissements pénitentiaires, avec un suivi par l'unité sanitaire de la prison et l'hôpital de proximité (pour des examens ou des hospitalisations courtes), il est quasiment impossible de mettre en place un accompagnement compréhensif. Non seulement, l'accès aux soins et aux équipements (lit médicalisé, matelas anti-escarres...) est difficile. Mais la relation soignants – soignés est emprunte de méfiance réciproque. En effet, les détenus expriment des doutes sur leur accès aux soins (traitements, diagnostic, confort) et les médecins, de leur côté, craignent les trafics de médicaments... A cela s'ajoute l'absence des familles, pour les détenus au quotidien, mais aussi pour les médecins, qui n'ont pas contact avec elles, rendant d'autant plus difficile la mise en place d'un accompagnement de fin de vie. A l'opposé, les Unités hospitalières de sécurité interrégionales (UHSI), bien que non spécialisées dans les soins palliatifs, sont perçues par les détenus comme un véritable hôpital, ils s'y sentent bien souvent patients. Une relation de confiance peut être nouée entre eux et les médecins, aussi parce le milieu, bien que contraint, autorise davantage de souplesse... (par exemple des temps de parloir plus long). A. Chassagne et A. Godard-Marceau se sont également intéressées à la suspension de peine pour raison médicale prévue par la loi. Elles montrent notamment qu'elle est prononcée par le magistrat lorsqu'aucun autre aménagement n'est possible. La décision de sortie de détention doit être prise au regard de l'état de santé du patient (décrite par le médecin traitant et des expertises par des médecins extérieurs) et des risques de récidive... Elle fait donc se rencontrer deux cultures de métier différentes, celle du magistrat qui voit le détenu, dont il évalue la dangerosité, et celle du médecin qui voit un patient, dont la prise en charge serait facilitée à l'extérieur des murs. Finalement, la suspension de peine est l'aboutissement d'un parcours long, complexe et toujours incertain pour le détenu, qui mêle critères médicaux, juridiques, mais aussi des critères moraux et subjectifs (cause de l'incarcération, personnalité perçue du détenu...).

Après l'exposé des résultats de l'étude PARME, Ueli Hostettler, anthropologue social à l'université de Fribourg, a présenté une étude relativement proche, conduite en Suisse. Cette dernière montre des points communs avec la recherche PARME, les mêmes difficultés (accès aux soins...), les mêmes questions éthiques relatives à la dignité, bien que le contexte suisse soit quelque peu différent avec des détentions « illimitées » dans le temps. Ueli Hostettler a aussi invité à ouvrir un débat public sur la fin de vie en prison – débat qui a débuté avec la table ronde de l'après-midi. Animée par Régis Aubry et Aline Chassagne, elle a réuni médecins, personnels soignants, avocat (6) qui ont pu également interagir avec le public. Les échanges ont été nombreux, notamment autour de l'entrée des dispositifs d'accompagnement en prison au risque de favoriser l'inapplication de la loi qui prévoit aménagements et suspension de peine. La journée a été clôturée par Christian Guinchard qui souligne, à partir de la lecture d'un extrait du livre du Jorge Semprun (l'écriture ou la vie), l'importance du regard de l'Autre et du sentiment d'être entouré au cours des derniers moments de la vie.Cette journée d'étude riche en échanges a également permis d'envisager des collaborations futures avec Jean-Marie Delarue ainsi que la création d'un groupe de travail afin de donner des recommandations pratiques pour améliorer la situation des personnes détenues gravement malades.

(1) Au Laboratoire de sociologie et anthropologie (LASA) de l'UFC, et chercheur au Centre d'investigation clinique (CIC 1431) du CHRU de Besançon, axe Éthique et progrès médical.
(2) Au Centre d'investigation clinique (CIC 1431) du CHRU de Besançon, axe Éthique et progrès médical.
(3) Le comité de pilotage était constitué de Régis Aubry, porteur de l'axe Ethique et progrès médical, CIC 1431, Lionel Pazart, praticien hospitalier méthodologiste, CIC 1431, Edouard Amzallag, praticien hospitalier, unité hospitalière de sécurité interrégionale (UHSI) de Lyon, Elodie Cretin, coordinatrice de la recherche axe Éthique et progrès médical, CIC 1431, Aurélie Godard-Marceau, Aline Chassagne, Sébastien Grignard, praticien hospitalier, unité de consultation et de soins ambulatoires (UCSA) de Besançon.
(4) Recensement des patients concernés pendant trois mois dans toutes les structures de soins pénitentiaires en France.
(5) 70 entretiens semi-directifs ont été conduits avec 14 détenus en fin de vie et les professionnels qui les entourent (médecins, infirmiers, juges, conseillers pénitentiaires d'insertion et probation, surveillants de prison...).
(6) Nathalie Hidoux, cadre supérieur du pôle médico judiciaire, CHU de Bordeaux, Yvain Auger, médecin responsable de l'UHSI de la Pitié-Salpêtrière à Paris, François Bès, coordinateur enquêtes, Observatoire International des Prisons, Sylvain Cormier, avocat spécialiste en droit pénal à Lyon.