Parler de la mort avec les personnes âgées

2023 03 Parler de la mort avec les personnes ageesAurélie Chopard-Dit-Jean, psychologue clinicienne, a mené une thèse (1) labellisée par la MSHE, sur le désir de mort chez les personnes âgées dépendantes vivant en établissement. Pour mieux cerner l’expérience du grand âge, les études ont été réalisées parallèlement en France (en EHPAD) et en Suisse (en EMS, établissement médico-sociaux).
Rencontre avec la chercheuse.

Lors de la soutenance de votre thèse, le jury a souligné un travail plein d’humanité. Comment avez-vous abordé avec les résidents cette question éminemment difficile du désir de mort ?
Aurélie Chopard-dit-Jean : Lorsque j’ai eu l’accord des directions des établissements pour y mener ma recherche, et après avoir présenté mon étude aux professionnels, ces derniers proposaient aux résidents correspondant aux critères d’inclusion (2) de la recherche de me rencontrer. Sept ont refusé, parce qu’ils ne souhaitaient pas se remémorer des souvenirs en lien avec leur histoire de vie ou leur entrée en établissement, ou parce qu’ils n’avaient rien à dire, ou parce que leurs proches ne désiraient pas qu’ils « remuent » le passé. Pour tous les autres résidents qui acceptaient de me rencontrer, je leur présentais mon étude. Je leur expliquais que j’étudiais le désir de mourir qu’ils pouvaient éventuellement être amenés à ressentir. Là-dessus, bon nombre d’entre eux ont réagi en disant que oui, ils avaient envie de mourir. A ce moment-là, mon dictaphone était éteint, pourtant je ne les interrompais pas car ils livraient des éléments précieux spontanément. Ensuite, une fois qu’ils avaient donné leur accord pour participer, je les enregistrais et là je revenais sur leurs premières confidences. Leur réaction spontanée à l’évocation du thème de la recherche montrait que le sujet faisait écho à ce qu’ils vivaient. C’était déjà un résultat de recherche ! Finalement, aborder le désir de mort s’est fait de manière plutôt naturelle, comme si les résidents étaient contents, voire soulagés, de pouvoir parler de la mort.



Que disent les résidents de la vie et de la mort ? Et comment comprendre l’expérience vécue par chacun ?
Mon sujet de départ était le désir de mort lors de l’entrée en EMS et en EHPAD, mais le thème s’est affiné au fil des entretiens que j’ai réalisés. En invitant les résidents à parler de leur désir de mort et de leur mort, ils parlaient de ce qu’ils vivaient, de leurs craintes, leurs souhaits, leur passé, leur présent mais aussi de leur avenir. Lorsque les résidents parlent de la mort, ils prennent conscience de ce qu’ils ont vécu, de ce qu’ils vivent et de ce qu’ils souhaitent encore vivre, ou ne souhaitent plus vivre. L’expérience de la mort au grand âge se comprend au regard d’enjeux physiques, spirituels, identitaires, sociaux et psychiques mis en évidence par la thèse.
Physiquement, les résidents doivent apprendre à gérer leurs dépendances et à vivre avec. D’un point de vue spirituel, du fait de leur dépendance (et sa possible évolution) qui les oblige à changer leur mode de vie, leurs habitudes et leurs aspirations personnelles, les résidents s’interrogent sur le sens de leur vie actuelle et questionnent leur l’avenir. La dépendance et l’entrée en établissement marquent la discontinuité de leur identité : leurs habitudes de vie changent, leur environnement également du fait de la séparation avec leur lieu de vie habituel et les objets familiers. Socialement, le rôle parental des résidents peut se jouer à la fois avec angoisse et sérénité pour leur descendance. Les personnes âgées restent parent jusqu’au bout de leur existence et tiennent à ce rôle parental. Un sentiment d’appartenance à la famille perdure, et les résidents ont des difficultés à s’identifier au collectif des « résidents » hormis en ce qui concerne la dépendance et la mort. Enfin, d’un point de vue psychique, une dualité entre pulsions de vie et pulsions de mort se révèle dans l’expérience de la mort, avec une domination tantôt des pulsions de vie, tantôt des pulsions de mort. Cette dualité va amener les individus à vouloir vivre ou à désirer (voire à se laisser) mourir.

2023 03 Parler de la mort avec les personnes agees carteY-at-il des différences entre la Suisse et la France ou entre les types d’établissements que sont les EMS et les EHPAD ?
En Suisse, le ratio de personnel est plus élevé qu’en France, ce qui n’est pas négligeable. Mon étude montre que malgré cela, l’expérience intrinsèque vécue par les résidents est la même. Je rappelle que ma thèse s’est déroulée dans le cadre de mon doctorat en psychologie, et une  différence notable que j’ai relevée entre ces deux pays concerne le rôle du psychologue. Le poste de psychologue est obligatoire en EHPAD alors qu’il ne l’est pas en EMS. Dans deux des EMS où j’ai réalisé ma recherche, il n’y avait pas de psychologue. J’ai noté que les résidents avaient besoin de prendre conscience de certaines pertes et enjeux auxquels ils étaient confrontés, en lien avec la vieillesse, la dépendance et la mort. L’entretien faisait ressortir des éléments restés en attente de traitement psychique, et l’espace que j’offrais en tant que psychologue-chercheuse permettait une élaboration. Cela m’a amené à conclure, dans ma thèse, que le rôle du psychologue est fondamental et doit être développé, renforcé dans les établissements. Le psychologue intervient auprès des résidents mais aussi auprès de leurs proches qui rencontrent parfois des difficultés à vivre la situation de fragilité des résidents. Aussi, le psychologue travaille en collaboration avec les professionnels et leur permet de réfléchir aux situations du quotidien, en plaçant bien évidemment toujours au centre le résident. Le psychologue représente les besoins et les attentes des résidents en termes bio-psycho-sociaux et spirituels dans les différents lieux où on parle d’eux. Le psychologue est garant des espaces de réflexion, contenance au sein de l’établissement pour penser, élaborer ce que vivent les résidents et penser leur accompagnement.

Dans votre thèse, vous soulignez un manque de moyen humain pour accompagner les résidents
Ma thèse souligne le besoin de moyens humains pour accompagner la complexité de l’expérience vécue. Tout d’abord dans le domaine du soin parce que les situations des résidents sont de plus en plus complexes et le seront toujours plus. En France comme en Suisse, une politique de maintien à domicile est développée depuis de nombreuses années, ce qui fait que les résidents qui y sont accueillis ont un important besoin d’accompagnement du point de vue médical, car ils entrent en EHPAD et en EMS en étant de plus en plus dépendants. Mais il ne faut pas oublier, et c’est tout l’intérêt de ma thèse, que les résidents ont aussi besoin d’être accompagnés d’un point de vue socio-culturel. Ils ont besoin d’avoir des activités leur permettant de garder un rôle social et qui ont du sens par rapport à ce qu’ils ont vécu et vivent aujourd’hui. Aussi, d’un point de vue spirituel, les bénévoles d’accompagnement et les aumôniers ont un grand rôle à jouer car les résidents se posent des questions existentielles en lien avec la proximité de la mort. Enfin, je souligne de nouveau l’importance du rôle du psychologue. N’oublions pas également l’intérêt d’un service hôtelier de qualité et de la restauration car manger reste un des principaux plaisirs au grand âge !

Vous souhaitiez également évoquer la richesse du parcours de thèse, notamment à l’intention des étudiantes et étudiants qui commencent ou envisagent un doctorat. Que leur dites-vous ?
Souvent, lorsqu’on pense au doctorat, on pense au besoin d’être financé (ce qui a été pour moi une priorité avant de me lancer dans cette aventure !), on pense à la carrière académique, à la course aux publications scientifiques… Même si le doctorat est très exigeant sur le plan scientifique, professionnel et personnel, je dirais aux étudiants qu’il est tout à fait possible, voire indispensable, de façonner son doctorat en fonction de ses souhaits de poursuite de carrière. Le doctorat ne ferme aucune porte, bien au contraire ! Il permet de développer de nombreuses compétences qui seront utiles pour se tourner vers une carrière académique ou vers d’autres champs professionnels très vastes. À ce propos, j’invite les étudiants à se joindre à nous lors de la journée d’étude « Le doctorat, et après ? Quelles perspectives après une thèse sur le vieillissement ? » (3) qui aura lieu le 5 avril prochain à la MSHE.


(1) Aurélie Chopard-Dit-Jean Parler de la mort en établissements médico-sociaux (EMS) et en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) : vers une compréhension psychologique du rapport à la vie et à la mort des résident.e.s. thèse de doctorat, Besançon, université de Franche-Comté en cotutelle avec université de Lausanne, 14 décembre 2022. La thèse a été menée sous la codirection de Magalie Bonnet (université de Franche-Comté) et Dario Spini (université de Lausanne) et s'inscrit dans le projet de recherche « DESAge - Demandes d'Euthanasie et de Suicide Assisté chez les personnes âgées vivant en établissement d'hébergement » porté par Magalie Bonnet à la MSHE.

(2) Les résidents devaient avoir plus de 70 ans, être capables de parler en français de leur histoire de vie et de leur vécu actuel et ne pas présenter de troubles neurocognitifs. A ces critères communs pouvaient s’ajouter d’autres critères spécifiques correspondants aux deux études menées dans le cadre de la thèse : « Attachement et rapport à la vie et à la mort au grand âge lors de l’entrée en établissement » et « Attachement et demande de mort au grand âge ».

(3) Plus d’informations : https://vieillissementsetsociete.wordpress.com/journee-detudes-pour-les-10-3-du-groupe-vs-le-doctorat-et-apres-quelles-perspectives-apres-une-these-sur-le-vieillissement/


Photo : Todd Cravens, Unsplash