Faculté dehors: retour sur une expérience de recherche-formation

20220926 faculte dehorsAu cours de l’année 2021-2022, des élèves de CM1/CM2 de l’école de Nancray ont fait classe un après-midi par semaine dans la doline du parc du musée des Maisons comtoises. Des étudiants de sociologie et anthropologie les ont suivis et ont mené une enquête ethnographique, sous la direction de Sophie Némoz, maîtresse de conférences au LaSA (1), pour comprendre comment enfants et adultes vivaient cette expérience. Leur travail a donné lieu à l’exposition Devenir avec les autres par-delà les humains visible du 19 mai au 4 juillet 2022 au musée des Maisons comtoises de Nancray.
Retour avec Sophie Némoz sur le projet « Faculté dehors » (2).

« Faculté dehors » fait écho à l’« école dehors » qu’ont vécue les élèves de CM1/CM2. Pouvez-vous revenir sur l’origine du projet et expliquer les objectifs qu’il poursuivait ?
Je me suis lancée dans cette initiative en 2021. En tant qu’enseignante-chercheure, articuler la recherche et la formation, c’est presque une évidence ! Au départ, je les ai associées dans différents masters où j’ai enseigné, que ce soit à l’étranger ou en France, au sein du master international sur les éco-innovations (3) par exemple. Puis, au Laboratoire de sociologie et d’anthropologie, j’ai été élue en 2017 responsable des formations de licence 2 et de licence 3 pour le département pédagogique. Auprès des étudiants de premier cycle, j’ai porté plusieurs projets de recherche que je menais avec la MSHE (4). L’idée a toujours été de rencontrer les réalités de terrains afin d’exercer les apprentissages d’une attention ethnographique. L’attention ethnographique concerne autant l’observation, l’écoute bien sûr, que la documentation, y compris la relecture des travaux d’auteurs. La pandémie a rendu plus difficile l’organisation des séjours de recherche des étudiants. Pendant deux ans, d’autres approches ont pu être proposées comme les méthodes d’ethnographie sur internet. Ça a été une initiation intéressante pour les étudiants mais, par définition, sans sortie aux côtés des acteurs, puisqu’il s’agit d’enquêtes en ligne. Par la suite, la recherche TIE HER a présenté l’opportunité de nouveaux rapprochements avec le terrain mais pas uniquement, puisqu’avec des anthropologues, des sociologues de plusieurs labos, mais aussi des géographes, des urbanistes, des architectes, ou encore des chercheurs en sciences de l’information et de la communication, on a formé un atelier qui croisait le regard de nos différentes disciplines sur une série de questions : quelles représentations ont les enfants à l’égard des territoires urbains et ruraux ? Quelles sont leurs pratiques de l’espace ? Qu’en est-il de leurs rapports au temps ? En menant l’enquête de terrain en région Bourgogne-Franche-Comté, j’ai pu déceler l’importance des confinements successifs dans les expériences vécues à de jeunes âges de la vie. Les intervenants rencontrés auprès des enfants prenaient aussi des initiatives… Parmi elles, celle de « l’école dehors » a été davantage connue à Nancray où une enseignante a confié son souhait de faire classe autrement. Pour l’année 2021-2022, elle se préparait à emmener chaque jeudi après-midi ses élèves de CM1/CM2 dans le parc du musée des Maisons comtoises. Avec le soutien du programme RITM BFC (5), une convention a été signée en associant l’UFC et la MSHE pour étudier comment, durant un an, ce dispositif d’apprentissages était vécu par l’ensemble des participants. Dans quelle mesure y prenaient-ils part ? Avec quelles perceptions ? Quelles appréciations au cours de cette formation ?

Concrètement, quel a été le travail mené ?
Avec les étudiants de troisième année de licence, nous avons accompagné les sorties des élèves de Nancray. Cette démarche nous a permis de développer ce qu’on appelle la méthode des itinéraires. Elle relève de plusieurs emprunts à l’anthropologie interculturelle du quotidien, à la sociologie des organisations, aux études urbaines... Aujourd’hui, elle est plus largement connue comme une étude mobile, un parcours effectué en présence des acteurs. En suivant les allers-retours d’une classe d’école élémentaire semaine après semaine, une méthodologie mixte de recherche a pu être construite avec les enfants. A leurs côtés, les étudiants ont été amenés à penser autrement qu’en terme statique. Ils n’étaient pas en position fixe d’observateurs. Le travail mené a été bien plus qu’une campagne quantitative et qualitative de questionnaires et d’entretiens avec les élèves et leur enseignante. Nos déplacements à leur rencontre, par groupe de TD, durant 4 heures les jeudis après-midi, ont contribué à mettre en œuvre une situation d’enquête davantage symétrique. Nous nous sommes ainsi concrètement rapprochés des expériences sensorielles et sémantiques que nous souhaitions étudiées. Les questions de prises de vues et de sons ont été fortement articulées à celle de la locomotion au sens de Gibson (6). Selon lui, on explore son milieu dans le mouvement, c’est une sorte d’enquête. Dans notre cas, j’ai veillé à s’exercer à cette attitude et aux actions à mener sur soi, en commençant à l’université pour celles et ceux qui y apprennent la socio-anthropologie. On a travaillé ainsi sur les différentes dimensions impliquées par la mobilité comme l’espace, le temps, les imprévus et découvertes, ainsi que les ressentis associés… Ça a aussi été une manière de la partager avec les enfants, de tisser des transmissions. Il faut dire que la coordination de cette recherche-formation sur toute une année de licence 3 a rendu possible une certaine continuité dans l’immersion du terrain. Bien sûr, l’accès a pu être changeant selon les alertes météorologiques, les mesures d’accueil sanitaire des musées, ou de suspension momentanée de visites scolaires entre autres… Précisément, l’objectif c’était d’approfondir collectivement les incertitudes, les contraintes et les logiques sociales dans un va-et-vient qui ne soit pas ponctuel entre les travaux d’enquête et les enseignements.

Pourquoi restituer ce travail avec une exposition ?
Les restitutions des recherches menées m’ont toujours paru importantes. C’est vrai que j’y suis très attachée, et particulièrement à la fin du premier cycle de licence (7). Cela poursuit la réflexivité et ça apporte d’autres regards à l’analyse. Savoir penser des relations, les exprimer et pouvoir en discuter n’a pas uniquement une portée scientifique ou pédagogique. C’est aussi une qualité pour des devenirs professionnels très divers comme ceux que la sociologie et l’anthropologie rencontrent au-delà du monde académique. Il s’agit de mettre en commun différentes attentions. Ces échanges ont été nombreux cette année, que ce soit dans le cercle de paroles de la doline où les élèves faisaient classe, mais aussi à l’école, à l’université, à la MSHE et au musée. Les points de vue et les discussions ont été vraiment riches avec les enfants, les étudiants, parents, enseignants, chercheurs, animateurs associatifs ou culturels. Il y a eu tous ces interlocuteurs jeunes ou plus âgés, les workshops et séminaires, puis cette exposition que nous avions prévue sur place de mai à début juillet. Elle a rendu les résultats de recherche plus largement accessibles, avec quelques 3 000 visiteurs, tous publics confondus d’après les derniers retours de la directrice scientifique et culturelle du musée. Pour être au plus près de ce que nous avions expérimenté, les étudiants ont installé les textes et les images avec les enfants dans le verger et le bâtiment Vellerot situé à proximité. Avec le soutien de la MSHE, le montage de l’expo a présenté ainsi douze posters sur une vingtaine de supports au total. Le choix d’un tel format visait à faire connaître les significations de leur apprentissage dans son environnement, car, notamment, les frontières entre ce qui est « scolaire » et « périscolaire » ne faisaient pas sens du point de vue des pratiques. Si « l’école de plein air » est couramment attribuée aux Forest schools en référence aux pays scandinaves et à d’autres territoires européens, ou à l’Outdoor education aux Etats-Unis, notre recherche montre que les effets de capillarité ne sont pas linéaires. L’ancrage croise localement différents récits. Entre héritages et imaginations, leurs histoires ont été recueillies à chaque âge de la vie. Ces processus ont été analysés tout au long des mois d’enquête du dispositif et, comment, à travers lui, un musée peut reconsidérer ses missions patrimoniales de manière plus large et ouverte à de nouveaux projets scientifiques et culturels.


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(1) Laboratoire de Sociologie et d’Anthropologie, université de Franche-Comté
(2) « Faculté dehors » s’inscrit dans le projet TIE HER (Transmission et imagination des environnements habités par les enfants rurbains), lauréat de l’appel à projets « Transmission, travail, pouvoirs » 2021 de la Fédération des MSH de Bourgogne et Franche-Comté, et dans le cadre d'un partenariat entre le musée des Maisons comtoises, l'université de Franche-Comté et la MSHE Ledoux, développé avec le soutien de l'AMI 3 RITM BFC (ANR-17-NCUN-003)
(3) Master de l'université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
(4) Programme « ORTEP Revitalisation », opération 2 « Politiques de revitalisation. Expérimentation dans deux centres bourgs » ; action scientifique « RIFTS – Habiter des environnements aux RIsques de Fissures Territoriales et Sociales »
(5) Dans le cadre du 3e Programme d’Investissement d’Avenir (PIA 3) « Nouveaux cursus à l’université » (NCU), RITM-BFC vise une diversification des formations, adaptée à la pluralité des publics accueillis. En 2021, le projet « Faculté dehors. Recherche ouverte par-delà les sciences sociales », dirigé par Sophie Némoz, a été lauréat de son Appel à Manifestation d’Intérêt « Renforcer le lien entre formation et recherche » (ANR-17-NCUN-0003)
(6) Gibson J., 2014, Approche écologique de la perception visuelle, Paris, Dehors
(7) Exemple dans le cadre du programme ORTEP : Retour sur les stages de terrain des étudiants de licence 3 de sociologie à Gray