Une série pour renouveler l’étude des normes foncières et agricoles

actu20210916 Serie Normes pratiques foncieres agricoles dans le mondeLa série « Normes et pratiques foncières et agricoles dans le monde » est la dernière-née de la collection des Cahiers de la MSHE. Elle est consacrée à l’édition d’ouvrages inédits sur les questions foncières, agricoles et environnementales. A l’occasion de la parution ces derniers mois de deux volumes sur les trois que compte la série à ce jour, Gérard Chouquer (1) son responsable, présente le projet qui préside aux publications.

Les ouvrages de la série abordent les questions du foncier en zones rurales sous l’angle des normes et des pratiques. Pourquoi ce choix ?
Gérard Chouquer : En effet, comme Marie-Claude Maurel (2) qui est associée au pilotage de la série, j'attache beaucoup d'importance à cette association entre les normes et les pratiques dans le foncier, mais aussi dans les questions agricoles. L'idée est de procéder de façon différente de ce qui se fait couramment. Aujourd'hui, devant les crises et les incertitudes, beaucoup, encouragés par l'hyper-relativisme, sont tentés de dire que les normes (le droit, la régulation, les formes agraires, par exemple) sont prises à défaut et qu'on peut donc s'en passer ou les minorer. D'où ces fuites vers d'autres objets et d'autres disciplines : on fait de l'anthropologie juridique pensant que cela remplace le droit ou la sociologie rurale ; de l'archéologie et de l'histoire environnementale pensant que cela remplace l'analyse géographique de morphologie agraire ; etc.
Je préfère une position plus articulée. Ne pas négliger l'étude des normes, en ce qu'elles coproduisent le réel foncier et agricole, mais les mettre en regard des pratiques, c'est-à-dire de ce que les sociétés en font.

Les deux dernières parutions Propriété, cadastre et usages locaux dans les campagnes françaises de Fabien Gaveau et Terre et propriété à l’est de l’Europe de Marie-Claude Maurel sont la parfaite démonstration de ce projet. Pouvez-vous expliquer en quoi ?
Parce que les deux livres — plus encore que le premier tome de la série qui était en quelque sorte une prise de date et de champ thématique — insistent sur l'association entre normes et réalités que je viens de décrire.
Tenez, ce que démontre Marie-Claude Maurel, par exemple, c'est que la chute des régimes communistes dans l'Europe médiane, qui aurait pu ouvrir une phase de recomposition fondée sur une exploitation maîtrisée du faisceau des droits, n'a pas eu ce résultat. Loin de favoriser la petite propriété paysanne, les retrouvailles avec la propriété privée se sont traduites par l'émergence d'un capitalisme agraire renouvelé, assis sur la grande maille agraire monotone qui marque désormais les campagnes de ces pays, et développant l'agriculture de firme.
L'ouvrage de Fabien Gaveau apporte un éclairage différent. Partant des profonds changements que l'époque révolutionnaire et napoléonienne a initiés (l'abandon de la relation féodale entre les hommes, le code civil, la propriété privée, le cadastre fiscal), il a écumé les archives départementales à la recherche des mille et un documents qui permettent de savoir comment ces nouvelles normes ont été reçues. Eh bien ! le bilan est pour le moins contrasté : il a fallu un siècle et demi pour que ces nouveautés impriment le réel, et que les tensions s'apaisent. Encore a-t-il fallu, pour cela, créer des entorses au schéma, en apparence parfait, du Code civil : par exemple, le statut du fermage, des régimes particuliers de propriété, la (difficile) reconnaissance de droits collectifs que le Code n'avait pas réglés.

Initialement, les ouvrages français devaient être traduits en chinois et édités par les Presses Universitaires Sun Yat-sen de Guangzhou pour un public chinois. Ce qui finalement n’est pas réalisé…
C'est un grand regret ! Malgré la signature d'un contrat, et en raison de changements survenus dans l'université de Guangzhou, la partie chinoise n'a pas voulu donner suite à ce projet. Des traductions ont été faites, mais elles ne seront jamais publiées.
Fort heureusement, les PUFC et la MSHE ont néanmoins décidé de continuer la série, version française. Que ces institutions et leurs responsables en soient remerciés.

En revanche, vous développez des échanges fructueux avec l’Académie d’agriculture de France…
Avec Marie-Claude Maurel, nous souhaitons en effet associer régulièrement l'Académie d'agriculture de France à la bonne marche de la série, en sollicitant nos collègues, soit pour une évaluation, soit pour une préface (Nadine Vivier, qui a présidé l'Académie en 2020, a préfacé l'ouvrage de Fabien Gaveau), soit pour un conseil.

Les prochains ouvrages traiteront de quelles thématiques ?
Je peux en annoncer deux. L'un sur l'Amérique latine, dirigé par Éric Léonard, et qui portera sur la difficile (c'est le moins qu'on puisse dire !) construction du foncier, pris entre l’État et les communautés, dans des situations souvent violentes. Les textes sont réunis et la parution est prévue l'année prochaine. 
Un autre, ensuite, sur les relations entre droit et géographie — une thématique nouvelle, bien représentée par exemple au Canada et qu'il faut développer en France —. J'ai demandé à Élisabeth Botrel, juriste, et à Marie Fournier, géographe, de le prendre en charge, et ce sera une opportunité de collaboration avec l’École Supérieure des Géomètres-Topographes du Mans (qui dépend du CNAM), parce qu'elles y enseignent toutes deux. Je rejoins ainsi une préoccupation de fond de la MSHE : placer la recherche en lien étroit avec les professions et le réel économique.

 
(1) Gérard Chouquer est historien de la propriété et du cadastre, directeur de recherches au CNRS honoraire et membre de l’Académie d’agriculture de France
(2) Marie-Claude Maurel est géographe, directrice d’études à l’EHESS et membre de l'Académie d'agriculture de France


Articles associés :
Quand les usages liés aux propriétés expliquent le comté
La propriété de la terre après le collectivisme