Retour sur le colloque «Dire et penser la ruse de guerre de l’Antiquité à la Renaissance»

actu20180330 Retour colloqueRUSEMichel Pretalli, maître de conférences en études italiennes à l’Institut des sciences et techniques de l’antiquité (ISTA) a organisé les 23 et 24 mars 2018 un colloque international consacré à la ruse militaire de l’Antiquité à la Renaissance. Ce colloque s’inscrit dans le cadre de l’action « Ruse » portée par Michel Pretalli à la MSHE Ledoux. Au fur et à mesure des différentes initiatives qui l’animent, ce projet vise à éclairer les multiples facettes de ce sujet extrêmement vaste. En effet, la ruse peut être définie comme une forme d’intelligence permettant de résoudre une situation problématique ou de prendre un avantage sur un adversaire sans miser sur la force et, dans cette définition large, elle se manifeste dans presque toutes les activités humaines.
Les neuf communications du colloque présentées par des spécialistes venant d’universités françaises et étrangères devant un public composé de chercheurs, d’étudiants mais aussi d’amateurs, représentent le fruit d’une réflexion menée à travers des regards disciplinaires variés (histoire, philosophie, langues et littératures, archéologie). Dans la session consacrée à l’Antiquité, Thomas Guard (ISTA) a défini avec précision le concept de guerre sine malo dono (1) chez l’historien de la Rome antique Tite-Live tandis que, pour le monde Grec, Sylvie David-Guignard (ISTA) a illustré le duel qui a opposé Athéna à Ulysse – archétype du héros rusé – dans l’Odyssée d’Homère. Au Moyen-Âge, les ruses de guerre sont présentes dans l’œuvre de l’historien et poète Paul Diacre (VIII ap. J.-C.), ainsi que l’a montré Emanuele Piazza (Università di Catania), mais aussi dans les romans chevaleresques composés quelques siècles plus tard, tels que le Lancelot qui fut l’objet de la communication de Giovanni Zagni (Università di Catania). Toujours pour ce qui est de l’époque médiévale, Alice Lamy (Université la Sorbonne) (2) s’est davantage intéressée aux fondements philosophiques de la ruse et à son lexique. Ce dernier était au cœur de l’attention de Rudy Chaulet (ISTA) et de Michel Pretalli qui ont étudié la ruse de guerre dans les textes de la Renaissance, en l’occurrence les récits castillans de la conquête du Nouveau Monde pour le premier, les ouvrages italiens d’art militaire pour le second. Les deux dernières interventions ont révélé une approche plus littéraire : Paolo Cherchi (University of Chicago) a décrit la manière dont Bernardino Rocca a transformé les stratagèmes hérités de la tradition antique en véritables « novelle stratagemmatiche » (3), tandis que Pierre Jamet (ISTA) a étudié la ruse dans le Henry V de Shakespeare.
Outre l’intérêt que présentent ces communications, le colloque a permis un échange des plus enrichissants, largement favorisé par son caractère interdisciplinaire et par la transversalité même du sujet, qui a fait émerger des pistes de recherche (constitution de bases de données sur le lexique de la ruse, accentuation de la dimension « digital humanities », approfondissement des questionnements liés à l’éthique de la ruse, etc.) qui orienteront la suite de la réflexion menée dans le cadre de l’action « Ruse ».

(1) Dolus est l'un des mots caractérisant la ruse de guerre dans l'Histoire romaine de Tite-Live. Son sens varie selon son contexte : accompagné de l'adjectif malus, il constitue une expression juridique relative à un « procédé déloyal ». Cette formule est appliquée à la guerre chez Tite-Live, sous sa forme négative, sine solo malo : elle contribue ainsi à légitimer une action militaire considérée comme dénuée de « stratagème insidieux » et à définir une forme de droit de la guerre, favorable aux Romains, qui revendiquent le bellum iustum.
(2) Laboratoire Rome et ses Renaissances : Art, archéologie littérature, philosophie.
(3) La novella est un genre narratif qui a connu un succès très important notamment à partir de la fin du Moyen-Âge, sous l’impulsion de Boccace par exemple. L’expression imaginée par Paolo Cherchi montre comment Rocca invente des nouvelles qui reposent sur le récit d’un stratagème militaire.