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Des objets revenus d'Allemagne,

traces d’itinéraires transnationaux contraints

À la libération par les Alliés des territoires sous domination nazie, vient le temps du retour pour tous ceux qui, déportés, prisonniers de guerre ou travailleurs forcés, ont passé des mois, parfois des années loin de leur famille. Ils ramènent avec eux de petits écrits et objets, traces de cette expérience douloureuse. Conservés dans les familles puis transmis aux descendants, leur don au musée symbolise le passage de souvenirs qui deviennent patrimoine. Ils incarnent la nécessité d’une transition de la mémoire à l’histoire, à l’heure où les derniers témoins de la Seconde guerre mondiale s’éteignent.

Prisonniers de guerre

Plus d’1 800 0000 prisonniers de guerre, capturés par les Allemands en mai-juin 1940, sont envoyés en Allemagne et détenus dans 75 Oflags (pour les officiers) et Stalags (pour les soldats et les sous-officiers). Ces derniers sont aussi des camps de travail organisés en Kommandos.

Si la vie des soldats intéresse précocement les historiens (comme Yves Durand dans les années 1980), l’histoire des enjeux mémoriels de la captivité de guerre mérite d’être développée.
La nostalgie des prisonniers de guerre. Mots et images d’une patrie lointaine. Le carnet de Jean Ledoux

Images, nostalgie, mélancolie. Poèmes en prose par Jean Ledoux, illustrations Charles Peillein, textes et dessins réalisés en captivité.
H. 21 cm ; l. 15 cm, papier, encre, feutre, crayon de papier, crayon de couleur et gomme
Inv. 2020.1574.01

Revue des Sciences Naturelles du Gefangenenlager, n°1, 20 juillet 1940
Inv. 2020.1574.04
Portrait de Jean Ledoux
Inv. 2020.1574.05
Photo Studio Bernardot et MRDB


Ce carnet de poèmes a appartenu à Jean Ledoux et est illustré par Charles Peillein, originaire de Marseille. Jean Ledoux, botaniste à Besançon, a 30 ans lorsqu’il est fait prisonnier par l’armée allemande en juin 1940. Comme plus de 1 800 000 soldats de l’armée française il est emmené dans les territoires de l’Allemagne nazie en tant que prisonnier de guerre. Jean Ledoux est interné dans le Stalag IVC à Wistritz dans les Sudètes (actuelle Dubì). La vie y est difficile, la nourriture est insuffisante et les conditions d’hébergement sommaires. Les prisonniers travaillent aux champs ou à l’usine, ont peu de distractions et sont loin de chez eux. Ce carnet est une tentative d’échapper à l’ennui et à l’abattement. Les poèmes sont illustrés par un camarade d’internement Charles Peillein. Les deux prisonniers représentent ce qui leur manque : leur région, leur pays ou la nourriture avec un poème sur un potager. Jean Ledoux est libéré pour raison de santé en 1943.
Eli Devichi
Le sergent-infirmier Nachin au Stalag de Stablack

Le « Livre peint » d’Edmond Nachin, Stalag IA, à Stablack près de Königsberg (Prusse Orientale), peinture et photographies sur papier administratif
Inv. 2016.1512.15
Photo Studio Bernardot


Edmond Nachin, né le 15 octobre 1902 à Montivernage près de Baume-les-Dames (Doubs), est issu d’une famille nombreuse et se destine à une carrière ecclésiastique. Dès son plus jeune âge, Edmond est très doué en dessin. Eugène Laibe, un de ses professeurs, dit de lui : « Il met son cœur à reproduire le dessin, un souci vigilant à parfaire ses ouvrages ». Il est ordonné prêtre en 1929 en la cathédrale Saint-Jean de Besançon après avoir effectué son service militaire à Belfort quelques années plus tôt. Dès 1939, il est mobilisé dans le 428e régiment de Pionniers du Génie à Belfort, où il est fait prisonnier par les Allemands le 18 juin 1940. 

Après un périple ferroviaire de trois jours, il atteint le Stalag IA, un camp de prisonniers de guerre à Stablack en Prusse orientale. Dans ses correspondances avec sa sœur Pélagie, l’abbé Nachin témoigne des conditions d’internement : il n’a pas souvent chaud, les baraquements sont surpeuplés et le souci de la nourriture est constant. Il devient l’aumônier des Polonais du camp au printemps 1941. Edmond Nachin exprime son esprit créatif, le « livre peint » est un exemple de témoignage artistique : dessin et peinture côtoient de nombreuses photographies.

Maxime Boillon-Rémy
Edmond Nachin et les Polonais

Archives de l’Abbé Nachin
Pissoux (Doubs), Groß-Döbern (Haute-Silésie en Allemagne, aujourd’hui en voïvodie d’Opole en Pologne), Stalag I-A de Stablack (Prusse-Orientale en Allemagne, aujourd’hui en Varmie-Mazurie, Pologne), de 1932 aux années 1960, de nombreuses lettres datent de 1942 et 1943
Inv. 2016.1512.31
Photo MRDB


Lorsqu’il évoque les fidèles du stalag de Stablack dans les lettres destinées à sa sœur Pélagie, le prêtre Edmond Nachin écrit « mes Polonais », signe de l’affection entre ces hommes et leur aumônier, et de leur amitié qui est par ailleurs très solide. Les lettres qui composent en partie le fonds Nachin ont beaucoup voyagé. Elles ont été envoyées depuis Stablack en direction du Doubs et réciproquement. Certaines correspondances voyagent aussi d’Allemagne jusqu’au Pissoux, paroisse du prêtre depuis l’avant-guerre. C’est un fonds très vivant par ses déplacements, l’Abbé Nachin ayant emporté, à son retour de Prusse-Orientale, toutes les lettres et autres documents administratifs allemands avec lui.
Né en 1902, le sergent-infirmier Edmond Nachin est capturé à l’âge de 37 ans à Belfort le 18 juin 1940. L’infirmier se retrouve au Stalag IA où il souffre du froid et de la faim. Il est nommé aumônier des Polonais en 1941 avec qui il construit une vie religieuse au camp. Ce fonds approfondit nos connaissances des camps de prisonniers de guerre de la Seconde Guerre mondiale par le biais d’un point de vue spécifique : celui d’un aumônier lui-même captif.
Patrick Mougel

Travailleurs forcés

Institué le 16 février 1943, le Service du travail obligatoire concerne près de 70 000 Français. Si l’histoire de cette décision et de son impact sur le développement de la Résistance est connue, l’expérience des hommes et des femmes requis pour travailler pour l’économie du régime nazi l’est moins, rendant ces traces matérielles d’autant plus précieuses.

Jean Voiret 19 ans à Leipzig

Mouchoir brodé par Olga Borissenko
Inv. 2021.1587.02
Insigne à broder « OST » pour les requises STO venues de l’Est
Inv. 2021.1587.04
Matricule de Jean Voiret à Leipzig H-Z A 074
Inv. 2021.1587.06
Carte de travail de Jean Voiret
Inv. 2021.1587.07
Photographies prises au camp de Leipzig en 1944
Inv. 2021.1587.08
Photo Studio Bernardot


Requis pour le Service du Travail Obligatoire instauré le 4 septembre 1942, Jean Serge Voiret se voit déplacé le 6 février à Böhlitz-Ehrenberg vers Leipzig. Né le 27 mars 1924, il est alors âgé de 18 ans et doit partir de Dijon, sa ville natale. Il ne revoit la France que deux ans plus tard, le 20 mars 1945. Là-bas, il effectue divers travaux au service de l’Allemagne. Malgré ce contexte, il y rencontre des camarades avec qui ils forment la bande des 7 mais aussi son amour de jeunesse, Olga Borissenko, une Ukrainienne au statut de Zwangsarbeiterin dont il a perdu la trace depuis son retour en France.

Cet amour subsiste au travers de nombreux objets et présente une histoire intime, vécue malgré un déplacement forcé. Cette histoire d’amour est interrompue en novembre 1944, lorsque Jean est déplacé dans un convoi de Russes à l’arrière du front américain. Après deux évasions en février 1945, il est hébergé par une famille allemande à Bremm qui le cache dans l’attente de la Libération.

 
Lucas Bernardino

Déportés

Plus de 160 000 Français furent déportés en Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale. Rares, souvent personnelles, les traces de l’expérience concentrationnaire ont fait l’objet d’un intérêt précoce et d’une collecte ciblée, tant par les historiens que par le musée. Face à la machine de déshumanisation du camp, ils donnent à voir une autre réalité, à hauteur d’Homme.

Maurice Coezard, déporté NN

Médailles produites en déportation par Maurice Coezard de 1942 à 1945 pour ses camarades et ses proches
Inv. 971.142.09
Inv. 2019.1566.02-01
Inv. 2022.1603.05 à 09
Carnet Souvenirs de ma captivité
Inv. 2022.1603.03
Photo Studio Bernardot

Maurice Coezard (1924-2016) a 18 ans lorsqu’il est arrêté par la gendarmerie française le 11 avril 1942 à Dombasle-sur-Meurthe. Faisant partie du réseau de résistance Hector, il est livré à la Gestapo et condamné d’après les termes du décret nazi Nacht und Nebel en vigueur dès l’automne 1941. Maurice Coezard devient un déporté politique. Avant son procès, il est détenu en France, à Nancy et à Fresnes, puis déporté dès le 26 juin 1942 en Allemagne à Hinzert, à Wittlich puis Breslau (en Silésie) et à Hirschberg, d’où il sera libéré le 8 mai 1945.
Les objets qu’il a confectionnés pour ses compagnons ont voyagé et sont chargés d’une mémoire douloureuse. Son témoignage est d’autant plus précieux que certaines médailles, issues de dons récents, permettent de révéler le parcours d’un déporté NN. Cette véritable production artistique pose, dès lors, les bases d’un dialogue entre le musée de la Résistance et de la Déportation et ces objets méconnus qui ne demandent qu’à être découverts.
Maxime Boillon-Rémy
S'instruire en camp de concentration, le parcours de Gérard Bray

Carnet de mathématiques de Gérard Bray, Sachsenhausen, 1943-1945
© Famille Bray


Né le 14 juillet 1923 à Paris, Gérard Bray voit son destin basculer l’année de ses 20 ans, en 1943, lorsqu’il tente de passer clandestinement en Espagne dans l’espoir de rejoindre l’Angleterre. Arrêté par la Feldgendarmerie, il est déporté en Allemagne le 28 avril 1943 à Oranienbourg-Sachsenhausen sous le matricule 65461. Considéré comme l’un des plus grands camps de concentration allemands entre 1936 et 1945, plus de 200 000 détenus y sont passés durant cette période. Les prisonniers sont forcés d’exécuter un travail très difficile pour les industries locales et les industries de guerre.
Gérard Bray est affecté au Kommando Heinkel. Malgré ses douze heures de travail quotidien, il montre une volonté de continuer à s’instruire. Cinq lettres issues de sa correspondance montrent une soif de connaissances et un désir manifeste de se cultiver par le biais de romans, dictionnaires, poèmes et livres d’étude. Bien qu’à certains moments, de son propre aveu, un bon repas lui aurait été plus appréciable, c’est lors de sa captivité qu’il apprit le poème d’Alfred Musset Le Rhin allemand. Sa détention est également marquée entre août 1944 et avril 1945 par l’apprentissage des mathématiques que lui offre son camarade de déportation Ibb Hansen (23 ans), un Norvégien avec qui il lie une amitié particulièrement forte. Les leçons qu’il reçoit sont notées dans un carnet d’étude qu’il conserve précieusement jusqu’à aujourd’hui.

Tristan Muret
Une amitié franco-norvégienne

Carnet personnel
Bray Gérard, 65461, Block 9, Konzentrations’ lager Sachsen Hausen, Berlin
Inv. 2021.1588.01
Photographies
Inv. 2021.1588.02
Dessin, portrait de Gérard Bray
Inv. 2021.1588.03
Poème offert à Gérard Bray pour ses 20 ans
Inv. 2021.1588.04
Photo Studio Bernardot

[…] C’est de tout mon cœur que je te souhaite
De revoir bientôt Paris.
Et de retrouver tes amis
Mais je te prie, mon cher Gérard :
De ne pas m’oublier plus tard. […]

Cet extrait de poème, écrit et offert à Sachenhausen par Ibb Hansen à son ami français Gérard Bray pour son anniversaire le 14 juillet 1944, témoigne d’une affection et d’une amitié particulière entre eux. Cet émouvant poème fait partie des documents et objets rapportés de déportation par ce dernier. Parmi eux se trouve également un dessin le représentant sans visage. Celui-ci fut réalisé par un autre détenu prénommé Jackson. D’autres archives ramenant au souvenir des camarades complètent le fonds, c’est le cas d’un petit carnet contenant toutes sortes d’informations diverses comme les noms et adresses de ses anciens camarades, des notes sur quelques matchs de football, une carte confectionnée à partir de journaux allemands, des bons distribués par les Vorarbeiter, un calendrier d’évènements et le récit d’évacuation du camp entre le 22 avril et le 12 mai 1945. Il contient également un calendrier des lettres et colis envoyés et reçus au camp. Autant de traces qui témoignent du quotidien au camp et de l’amitié indéfectible entre des détenus de toute nationalité.



Tristan Muret
Exister et résister dans un univers déshumanisant, le médaillon de Marguerite Socié

Médaillon confectionné par Andrée Bès pour Marguerite Socié, Zwodau
Inv. 2022.1579.04
Photo Studio Bernardot


Marguerite Socié dite « Mimi » (1915-2004) est une résistante franc-comtoise originaire de Montécheroux dans le Doubs. Arrêtée et emprisonnée à la prison de Rennes en 1943, elle est ensuite déportée dans le camp de concentration de Ravensbrück (Allemagne) sous le matricule 27546 puis dans le Kommando de Zwodau (République tchèque). Faisant preuve d’un grand courage lors de sa captivité, elle est libérée le 7 mai 1945.
De déportation, Marguerite Socié ramène plusieurs objets. Parmi eux se trouve sa robe de déportée sur laquelle est cousu un petit cœur en résine caché à l’intérieur et un médaillon en plastique confectionné par Andrée Bès (1919-1992), également déportée. Ce dernier représente Marguerite Socié, de profil, reconnaissable à son numéro de matricule et son statut de déportée politique. Ces objets viennent d’être légués au musée par sa famille.


Tristan Muret