Albane Rossi, nouvelle docteure à la MSHE

actu20190130 These AlbaneRossi 1Albane Rossi a soutenu une thèse en archéologie le 19 décembre 2018 intitulée « Un espace rural en pays d’openfield : appropriation et occupation du sol à Blandy-les-Tours (Seine-et-Marne) du XVIe au XIXe siècle ». La recherche, menée sous la direction de François Favory, s’est inscrite dans l’action « ArchaeDyn » (1) dans le pôle de recherche « Dynamiques territoriales » de la MSHE.
Dans sa thèse, Albane Rossi a analysé l’organisation des terres du XVIe au XIXe siècle sur un territoire donné, comprenant notamment une seigneurie importante. Ce territoire correspond en grande partie à l’actuelle commune de Blandy-les-Tours, située en Seine-et-Marne dans le plateau agricole de la Brie, à une quinzaine de kilomètres de Melun et une cinquantaine de kilomètres de Paris. Comment durant trois siècles a-t-il évolué ? Comment se sont modifiés les limites et les caractéristiques de la seigneurie, le paysage et l’habitat ? Comment s’est transformée la distribution spatiale de la propriété foncière ? Telles sont quelques-unes des questions que s’est posées Albane Rossi. L’analyse approfondie d’un territoire – la chercheuse parle de micro-analyse – sur la très longue durée jette un regard nouveau sur l’histoire : elle confirme certaines études, mais également bat en brèche d’autres recherches réalisées à une échelle plus grande ou sur une durée plus courte. Par exemple, elle montre que le cens en argent – cette charge payée par le paysan au seigneur – réputé immuable par nombre d’historiens, a en réalité été simplifié entre le XVIe et le XVIIIe siècle. En effet, les taux de prélèvements des parcelles agricoles variaient fortement au début du XVIe siècle, y compris pour des parcelles de même nature et de même superficie. Les critères à l’origine des taux étaient impossibles à identifier. Au milieu du XVIIIe siècle, le système a changé, il s’est rationalisé et simplifié sans qu’il y ait pour autant un remodelage de l’ensemble des parcelles.
Pour montrer cela, Albane Rossi s’est appuyée sur des documents descriptifs des terres, permettant de couvrir les trois siècles de l’étude et offrant, bien que sous des formes diverses, les mêmes informations : localisation, superficie, type d’occupation (friche, vigne, habitat…), charges et impôt, et identité des déclarants. Plus précisément, le fonds documentaire principal était constitué d’un premier terrier daté de 1508, d’un second terrier de 1744-1750 associé à un plan et enfin du cadastre napoléonien. Les terriers sont des registres dressés par l’administration seigneuriale, qui présentent l’avantage de recenser une information riche mais l’inconvénient de n’être qu’un texte descriptif.

Exemple du terrier de 1744-1750 :
« Anne Harly veuve de Jacques Basset demeurant à Blandy tant en son nom que comme mère et tutrice de ses enfants, déclare […] une maison scise rue Courte Soupe, consistante en deux travées couvertes de thuiles […] tenant d’une part d’orient audit sieur Cailly, d’autre part à la mazure appartenant à l’Hôtel-dieu, d’un bout du midy sur le chemin allant à la chapelle Saint-Martin et d’autre bout sur la rue Courte-soupe. 3 sols. »
Source : archives départementales de Seine-et-Marne
actu20190130 These AlbaneRossi 2Un important travail de retranscription et d’homogénéisation des données a donc été nécessaire pour les rendre comparables. « J’ai d’abord dépouillé manuellement les terriers – explique la chercheuse – ensuite j’ai saisi les données qu’ils contenaient dans des tables informatiques. Parallèlement, j’ai géo-référencé les données issues des plans. Et dans une troisième étape, j’ai lié autant que faire se peut les deux types de données, dans un SIG, un système d’information géographique. » Les informations disponibles concernant certaines caractéristiques et la localisation des terres ont ainsi été replacées dans l’espace, permettant alors d’en appréhender les permanences et les mutations.
A partir de là, Albane Rossi a exploré différentes thématiques : le domaine seigneurial, les enclaves foncières (2), le paysage et ses principales composantes, la propriété foncière et la valeur des terres. « Ainsi je peux affirmer – poursuit la chercheuse – qu’au début du XVIe siècle jusqu’au milieu du XVIIIe les propriétaires locaux, c’est-à-dire ceux qui habitent Blandy, ont des propriétés de grandes et très grandes superficies, mais qu’un siècle plus tard, au milieu du XIXe, ces grandes propriétés ont disparu au profit de plus petites. » Ce qui contredit en partie une recherche antérieure menée dans les années 1970 sur la totalité du district (3) de Melun et selon laquelle la redistribution des terres après la Révolution Française n’a pas été profitable à tous. Albane Rossi montre que Blandy fait figure d’exception et que la vente des Biens Nationaux à la suite de la Révolution Française a bel et bien permis aux petits propriétaires blandinois d’en reprendre le contrôle. D’où l’intérêt, selon elle, des micro-analyses conduites sur la très longue durée. Ces dernières permettent d’affiner nos connaissances du passé et montrent in fine des espaces ruraux ayant connu de profondes mutations.

(1) « Dynamique spatiale des territoires de la Préhistoire au Moyen Age »
(2) Il s’agit des terres qui n’appartiennent ni aux censiers – ceux qui payent le cens au seigneur – ni au seigneur. Ces terres appartiennent pour l’essentiel à des ecclésiastiques ou à des nobles.
(3) Le district est une subdivision des départements français de 1790 à 1795.